Les Inrockuptibles

À demain tristesse

Bon Iver est de retour avec un troisième album tourmenté, fait de collages sonores et de complainte­s vocales au vocoder. Une vision futuriste de la mélancolie qui dépasse de loin le champ de la folk. Comme une lettre d’intention, l’album s’ouvre avec

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Alors que l’on avait presque arrêté d’y penser, Bon Iver est réapparu sur les radars cet été. D’abord avec quelques notes dans un teaser, puis en confirmant l’arrivée d’un nouvel album à paraître en cette rentrée, précédé entre temps par deux extraits pour le moins étonnants.

Mais qu’a fait Justin Vernon, star totale chez les folkeux modernes, depuis le dernier album de son projet en 2011 ? Plein de choses, à commencer par annoncer la fin du groupe, trop exposé à son goût. A la suite de ça, il a collaboré avec James Blake et Kanye West, relancé son side project Volcano Choir, composé pour le cinéma, s’est produit sur scène avec des orchestres et, par ailleurs, a chuté dans une sorte de cruel burn-out.

C’est en tout cas ce que suggère un ami de longue date de Vernon, le musicologu­e Trever Hagen, dans une lettre publiée sur le site de Bon Iver et servant de communiqué de presse à l’annonce de 22, A Million, le troisième album du groupe. “Le bouleverse­ment spectacula­ire de sa vie, après ces deux albums, a provoqué chez Justin une tempête intérieure, une attaque d’anxiété, raconte Hagen. J’ai vu mon meilleur ami pleurer dans mes bras, perdu dans un monde de confusion et de retranchem­ent. Justin pouvait à peine parler.” Puis le temps a fait son travail et Bon Iver a commencé à renaître dans l’esprit tourmenté de Vernon.

Soit. Qu’un artiste se laisse dépasser par le succès, qu’il perde pied et s’enfonce dans la dépression avant de revenir avec des idées fraîches : on connaît, ça arrive. Mais ce qui pourra fasciner avec l’arrivée de 22, A Million à ce moment précis de la carrière de Vernon, c’est comment il intègre en musique cette rupture individuel­le, ce rapport bouleversé au monde et une multiplica­tion des réalités dans le format d’un simple disque.

22 (OVER S∞∞N), où quelques mots jaillissen­t dans un nuage opaque de samples, de dissonance­s, de ruptures de bande, d’échappées instrument­ales et d’harmonies au vocoder. Juste après, on prend les mêmes et on va plus loin : 10 d E AThbREasT est une tornade dépressive superposan­t des bribes de violence, ne laissant passer qu’une voix de plus en plus robotique. On arrive à 715 – CRΣΣKS et là, nouveau choc avec un morceau a cappella au vocoder, qui rappelle certaines envolées quasi religieuse­s des Beach Boys, où l’apparente simplicité ne cache pas complèteme­nt ses origines dans le bruit, la folie, le chaos d’un esprit dérangé. Une fois ces trois torgnoles passées, le reste de l’album se déroule dans un calme relatif à ce niveau de déconstruc­tion et d’enchevêtre­ments sonores – que des choses inédites chez Bon Iver, bien que certains passages du deuxième album laissaient déjà présager un sérieux potentiel d’abstractio­n. Ce qu’entérine vraiment 22, A Million, c’est l’identité solide d’un projet qu’on reconnaît toujours malgré les évolutions, voire la révolution qu’opère cet album : au-delà de ce timbre de voix qui sent bon la forêt, Bon Iver n’a plus rien de concrèteme­nt folk. La mélancolie se conjugue désormais au futur, dans une série d’atmosphère­s déshumanis­ées, quasi science-fictionnel­les, à verbaliser à travers l’alphabet étrange que proposent les titres de l’album. Dans l’imaginaire de la solitude créatrice, remplacez la cabane par une exoplanète. Vous y êtes. Maxime de Abreu

album 22, A Million (Jagjaguwar/Pias) concert le 22 janvier à Paris (Zénith)

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