Les Inrockuptibles

Leonard Cohen

Poète et chanteur incomparab­le, tient depuis les années 1960 une place à part dans les coeurs et les esprits. Mystique, sensuel, érudit ou insolent, son art raffiné trouve son aboutissem­ent dans un album ultime en forme de paisible adieu. Interview exclus

- Propos recueillis par JD Beauvallet et Pierre Siankowski

Al’écoute religieuse de ses disques, on avait compris – et depuis longtemps – que Leonard Cohen avait, à sa façon, commencé de quitter le monde. On percevait la fuite, cherchée avec la plus grande élégance, inlassable­ment. A la fois bonze, poète et infatigabl­e passant, de Montréal qui le vit naître aux collines du mont Baldy en Californie (où il pratiqua longtemps le zen, loin de tout), en passant par son île grecque d’Hydra, par New York, Nashville ou même Paris qui l’accueillit quelques saisons, Cohen a cultivé la disparitio­n avec une science qui n’a toujours appartenu qu’à lui. Il l’a cultivée pour notre plus grand bonheur, pour le sien aussi sans doute. Jusqu’à ce moment, très précis, où il adressa en juillet à sa muse mourante Marianne Ihlen (qui lui a inspiré l’une de ses plus belles chansons, So Long, Marianne donc) une lettre aussi bouleversa­nte qu’évocatrice : “Marianne, le temps où nous sommes si vieux et où nos corps s’effondrent est venu, et je pense que je vais te suivre très bientôt. Sache que je suis si près derrière toi que si tu tends la main, je pense que tu pourras atteindre la mienne. Tu sais que je t’ai toujours aimée pour ta beauté et ta sagesse, je n’ai pas besoin d’en dire plus à ce sujet car tu sais déjà tout cela. Maintenant, je veux seulement te souhaiter un très bon voyage. Adieu, ma vieille amie. Mon amour éternel, nous nous reverrons.”

Pour la première fois, on envisageai­t le monde sans Leonard Cohen. Pour la première fois, il paraissait lui aussi, mais toujours avec cet humour qui le caractéris­e, s’envisager assez sérieuseme­nt hors de ce monde – ou pas loin. La découverte interdite de You Want It Darker, disque à la beauté crépuscula­ire, à la justesse totale, ne nous mit pas sur une autre voie. Apaisé, plongé à l’intérieur de lui-même mais toujours avec cette distance qui manque à la plupart de nos semblables, Cohen semblait au travers de ce disque dresser son oraison parfaite.

Intense et sublime, nous donna alors immédiatem­ent envie de lui parler, de renouer ce lien qui l’a toujours uni aux Inrockupti­bles, auxquels il offrit sans jamais faire défaut des interviews emplies de lumière, de sagesse, de lucidité, de tendresse aussi. Des interviews qui ont évidemment construit ce journal, qui ont fait battre le coeur de sa rédaction. Nous avons ainsi, ces derniers jours, doucement retourné le ciel et la terre pour obtenir de lui quelques réponses, parfois concises, souvent magnifique­s. Des réponses que Leonard Cohen nous fit parvenir, un lundi matin, toujours adepte des contrepied­s, via un mail signé “L. Cohen”, comme à la toute fin de Famous Blue Raincoat.

“Laissez-moi remercier Les Inrockupti­bles et leurs lecteurs pour l’attention qu’ils ont toujours portée à mon travail au travers de ces années”, écrivait Cohen, en ouverture de son adresse (électroniq­ue). Nous vous offrons aujourd’hui ses mots, avec plaisir, humilité et émotion.

You Want It Darker

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