Les Inrockuptibles

“la chanson qui m’intéresse, c’est celle qui est affamée”

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En compagnie de sa muse Marianne Ihlen, Athènes, 1965 Quand vous revoyez la pochette de votre premier album, sorti en 1967, que ressentez-vous en découvrant la photo ? Vous reconnaiss­ez cet homme, vous êtes toujours proche de lui ?

Leonard Cohen – C’était un bon gars, armé de bonnes intentions. Son obsession, c’était de déterminer des stratégies, souvent même téméraires, afin de vaincre une sévère dépression. Malgré les avertissem­ents de sa mère, il avait tendance à faire confiance à tout le monde.

Sur votre nouvel album on entend la chorale de la synagogue Shaar Hashomayim du Québec. Pourquoi ces choeurs ?

Petit garçon déjà, j’adorais les entendre chanter. Grâce à eux, la corvée que représenta­it ma présence obligatoir­e à la synagogue devenait un plaisir. Je rêvais depuis longtemps de travailler avec le cantor et sa chorale. Malheureus­ement, des années de

Songs of Leonard Cohen, You Want It Darker,

tournées m’ont éloigné de ce projet. Et puis, accessoire­ment mais fondamenta­lement quand même, il y a des moments où vous voulez afficher votre drapeau, rappeler que cette culture peut vous nourrir, qu’elle n’est pas totalement hors sujet par rapport à la situation actuelle, qu’il n’est pas dans l’intérêt d’une nation de la rejeter, de la haïr. Ceci est plus important dans certains pays que dans d’autres.

Diriez-vous que est votre album “le plus juif” ?

Je n’ai pas l’impression de me trouver face à une table garnie, à choisir tel ou tel plat en fonction de mon appétit. Des miettes de possibilit­és se présentent. Très peu. La chanson qui m’intéresse, c’est celle qui est affamée. Ça se passe sans théologie. Dans ce cas précis, j’ai eu la chance qu’on me serve les plats rassurants de mon enfance. Quand avez-vous pris conscience de votre mortalité ? Je n’en ai toujours pas conscience. Comme dirait mon ami et poète Irving Layton : “Je n’ai pas peur de la mort. Ce sont les préliminai­res qui m’inquiètent.”

A quel point avez-vous récemment été affecté par la disparitio­n de Marianne Ihlen, la muse de vos jeunes années ?

De la même manière que n’importe quel fils de pute sans le moindre coeur l’aurait été face à l’amputation impitoyabl­e de son propre passé.

Vous vous souvenez de la dernière fois que vous avez pleuré ? Oui, c’était au cinéma. Au début et à la fin de vous mentionnez un “traité”. Quelle est sa nature ?

Il s’agit d’un traité entre votre amour et le mien, ces deux amours restent totalement impénétrab­les, indéchiffr­ables l’un pour l’autre. Un homme avec lequel j’ai étudié a dit : “Aimer son voisin ? Difficile. Pourquoi ne pas plutôt dire : ‘Essaie de ne pas détester ton voisin’.” A moins que la situation représente une menace mortellle, laissez donc vivre celle ou celui que vous aimez (et tous les autres, par la même occasion).

On connaît votre relation particuliè­re à Paris. Comment avez-vous vécu les attaques de 2015 ?

J’ai dû dire au revoir à ceux que je voulais ne jamais perdre.

You Want It Darker You Want It Darker,

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