Les Inrockuptibles

Sa priorité : faire vivre sa famille et ses musiciens. La révolution, c’est autre chose. Ça demande plus de folie (ou de désespoir)

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d’habitants, dans un deuil qui se prolonge encore aujourd’hui.

Mais l’hégémonie de la rumba a sa contrepart­ie négative. Les stars du ndombolo, sa version moderne, vivent d’un sponsoring qui les lie à des brasseries prêtes à dépenser des fortunes pour s’attirer leurs faveurs. Les deux tiers du budget marketing de Bralima et de Bracongo, principaux distribute­urs de bière en RDC, passent ainsi dans la musique. Ce système a un nom, le libanga. Il s’étend à la sphère privée comme à la politique. Pour entendre son nom cité dans une chanson, un généreux donateur peut payer jusqu’à 20 000 dollars US. De sorte que les Werrason, JB Mpiana et autres Fabregas, qui culminent dans la hiérarchie du ndombolo, font du placement de produit et de la pub nominale à longueur de chansons d’une vertigineu­se inconsista­nce, d’une lénifiante fadeur romantique. “A un moment, j’ai contacté des gens pour envisager un partenaria­t, raconte Jupiter. Pour pouvoir faire carrière ici, il faut de l’argent, et le seul moyen d’avoir de l’argent, c’est d’entrer dans le système du libanga. Quand ils m’ont soumis un contrat, il y avait des clauses que je ne pouvais accepter. Chanter pour une marque de bière, c’est pas mon truc.”

C’est d’autant moins son truc qu’à la rumba reste collé un fort parfum de colonialis­me et que lui a grandi en écoutant James Brown, les Jackson Five et Kool & The Gang. Sa musique, il l’a d’abord appelée bofenia rock, d’après un rythme propre à l’ethnie mongo à laquelle il appartient. Manière de signifier sa volonté de se démarquer d’une rumba trop inféodée en créant un style personnel, fruit d’une macération dans laquelle entrent musiques traditionn­elle et occidental­e. Un peu à la manière d’un Fela Kuti rompant avec le high life trop aimable, trop “colonial”, pour enfanter l’afro-beat, plus funky et engagé.

Mais Jupiter n’est pas un Fela congolais. Lemba n’a rien d’un Kalakuta kinois. On ne s’engage pas avec la même fougue dans un combat artistique et politique lorsqu’on a une trentaine d’années et quand on a franchi la cinquantai­ne. Sa priorité reste de faire vivre sa famille et ses musiciens. La révolution, c’est autre chose. Ça demande plus de folie (ou de désespoir). Et surtout moins de responsabi­lités. “Les gens qui crachent la vérité ont la vie courte ici”, raisonne-t-il.

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