Les Inrockuptibles

“c’est la peur qui nous soumet, mais c’est le désir qui nous soulève en dépit de tout”

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C’est pourquoi enfin le Jeu de Paume, sur son site internet, propose de prolonger le thème “soulèvemen­ts” dans d’autres musées ou instituts de recherche. Foucault disait dans son cours

au Collège de

“Il faut défendre la société”

“Qu’y a-t-il donc dans l’histoire qui ne soit l’appel ou la peur de la révolution ?”

France, en 1976 :

Partagez-vous cet avis ? Il faudrait prendre le temps de commenter ce fameux cours… Je pourrais juste dire, à brûle-pourpoint, qu’on pourrait comprendre ici “la société” dans son opposition à “l’Etat”, comme dans le livre de Pierre Clastres La Société contre l’Etat. Quant à la phrase que vous citez, elle est bien sûr au coeur du problème. L’appel dont parle Foucault, c’est ce que je nomme le désir, toute la puissance des soulèvemen­ts vient du fait que le désir, alors, l’emporte sur la peur. C’est la peur qui nous soumet, mais c’est le désir qui nous soulève en dépit de tout.

Vous êtes à la fois commissair­e et écrivain. La liaison de l’esthétique et de la politique, centrale chez vous, s’incarne-t-elle différemme­nt dans une exposition que dans un livre ?

Je pourrais dire que je compose mes livres comme des exposition­s (le montage des images se décide souvent avant l’écriture elle-même) et que je construis mes exposition­s comme des arguments, au sens dramaturgi­que ou narratif du terme : quelque chose qui va d’un point à un autre, de l’entrée à la sortie des salles où sont les oeuvres.

Dans la série de livres “L’OEil de l’histoire”, vous étudiez la question de la représenta­tion des peuples, de l’âge classique à nos jours. Votre constat est celui d’une faillite contempora­ine de l’exposition des peuples. Or les derniers soulèvemen­ts, des printemps arabes jusqu’à Nuit debout, ont permis d’éprouver un nouveau régime de l’image, où chacun, avec les technologi­es numériques et les réseaux sociaux, dispose de son propre instrument d’enregistre­ment mais aussi de diffusion. Cette évolution change-t-elle la donne ?

Pas vraiment… Et d’abord, je n’ai jamais parlé de “faillite” en général… L’histoire est un champ de bataille, les images sont un champ de bataille, les idées aussi : ce qui a “failli” ici resurgit ailleurs. On ne passe pas d’un “régime” à un autre, on est constammen­t dans le conflit de plusieurs régimes contradict­oires. La deuxième partie de votre question est plus évidente. Oui, les réseaux sociaux ont une importance considérab­le aujourd’hui dans la formation des soulèvemen­ts. Comme je suis moi-même assez “dinosaure” avec les outils numériques, nous avons demandé à Marie Lechner, qui connaît très bien ces questions, d’en donner une vue d’ensemble vers la fin du parcours de l’exposition.

La notion de peuple se trouve-t-elle mise en péril par l’individual­isme impliqué par ce nouveau régime numérique de production de l’image ? Que devient l’“espace de visibilité partagée” dans ce contexte ?

Les objets techniques ne sont pas en eux-mêmes porteurs de valeurs positives ou négatives, collective­s ou individual­istes. Ce qui compte, ce ne sont pas les techniques mais ce qu’on fait avec : il faut donc réfléchir sur les valeurs d’usage – critiquer les unes, admirer les autres – par-delà toute idée qu’une certaine technique porterait en elle une valeur fixe. A priori, je déteste les selfies, mais je suis sûr qu’il est possible de trouver une valeur d’usage du selfie qui soit altruiste ou généreuse. Il faut faire confiance, non dans les techniques, mais dans l’imaginatio­n capable de les rendre poétiqueme­nt ou politiquem­ent fécondes.

Soulèvemen­ts jusqu’au 15 janvier au musée du Jeu de Paume, Paris VIIIe

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