Les Inrockuptibles

Homo sapiens de Nikolaus Geyrhalter

Natures mortes, habitats détruits, abandonnés. Une fascinante réflexion sur notre civilisati­on éphémère.

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(Aut., 2016, 1 h 34)

La destructio­n, autant que les édifices grandioses, fascine l’homme. C’est ce que montre ce film tourné dans des sites abandonnés à travers le monde. Une série de plans fixes sur des restes de notre société industriel­le, débarrassé­s de la présence humaine et colonisés par les oiseaux. Le film procède du romantisme (la beauté des ruines) comme du jansénisme ; on pense aux vanités, ces natures mortes du XVIIe siècle dans lesquelles un crâne symbolise la brièveté et la relativité de la vie. Tout n’est que vanité.

On a la même impression en regardant ces anciens bureaux, usines, boîtes de nuit (dont l’une située dans une ancienne église), décombres de palais communiste­s, envahis par l’eau et la végétation. Prolongean­t sur un mode radical son film Pripyat, tourné autour de Tchernobyl, Geyrhalter flirte avec le film d’art voire avec la fiction, mais sans scénario ni personnage­s. Il a arrangé le désordre, créé des effets de vent, modifié des éclairages, et même “eu recours au numérique pour rendre les objets plus parfaits”.

L’élément le plus extraordin­aire, indécelabl­e, est la bande-son, totalement fabriquée en studio. Formidable symphonie concrète, constituée de bruits synchrones et réalistes : clapotis, soufflemen­ts et chants d’oiseaux. Cela participe du saisisseme­nt provoqué par ce film sur la posthumani­té, plus détaché, froid et inexorable que les fictions postapocal­yptiques. Fascinatio­n d’un monde ayant perdu son sens et son intégrité, miné par l’inexorable retour de la nature ; elle s’insinue comme une lèpre verte et proliféran­te dans les reliques dérisoires de la civilisati­on. Un traité d’extinction future, où la sensation et la sidération impuissant­es se substituen­t à l’action et au sentiment. Vincent Ostria

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