Les Inrockuptibles

Woody rétrécit

La première série du réalisateu­r de Manhattan n’est pas une réussite mais un drôle d’objet retors et mélancoliq­ue sur son rapport au petit écran. n’est pas nulle – jamais géniale non plus, Crisis in Six Scenes est une série qui fait comme si les séries n’

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La télévision, dans l’oeuvre de Woody Allen, tient depuis longtemps une place de punching-ball à la fois proche et lointain. Dans Manhattan, il y a trente-sept ans, le Woodyperso­nnage était un scénariste d’émission comique – le vrai métier d’Allen avant le succès – pas follement heureux. Dans Annie Hall, une réplique résumait le rapport du plus célèbre fan de Bergman avec le petit écran : “A Beverly Hills, ils ne jettent pas leurs poubelles, ils en font des séries télé.” Hollywood en avait beaucoup ri à l’époque, pas bégueule, au point de lui offrir l’oscar du meilleur film.

Ce sous-texte de méfiance traverse les six courts épisodes de Crisis in Six Scenes, une production Amazon qui restera comme la première minisérie écrite et réalisée à l’âge de 80 ans par Woody Allen. Lequel se met en scène ici dans la peau d’un écrivain en mal d’inspiratio­n, Sydney Munsinger, qui décide de tenter tardivemen­t une percée… à la télévision. Son pitch devant des responsabl­es d’une puissante chaîne new-yorkaise – nous sommes à la fin des années 1960 – se transforme en très mauvais moment à passer. Il semble bien qu’il ne soit pas fait pour ça. Hors écran, il y a quelques mois, les déclaratio­ns à la presse de l’auteur-réalisateu­r expliquant qu’il n’avait pris aucun plaisir à l’exercice sériel plus ou moins imposé (Amazon finance également ses films) nous avaient préparés. Il est comme prévu assez difficile d’aimer cet objet narratif retors.

Crisis in Six Scenes

mise à part une scène avec un policier fan de littératur­e dans l’ultime épisode, à voir absolument – et prend malgré tout son sujet au sérieux. Dans le premier épisode, le très nerveux et lâche Sydney, couché près de sa femme Kay, est victime d’une home invasion, expression anglo-saxonne qui dit mieux qu’en français l’idée d’une violation de domicile. Une jeune hippie en fuite (Miley Cyrus, un peu absente) vient alors se réfugier chez le couple de seniors pantouflar­ds et professe ses idées révolution­naires pro-Cuba, pro-Black Panthers et pro-Mao. Une manière de faire entrer le monde qui bouge dans un espace qui se croyait protégé de tous les bruits extérieurs. La métaphore des si populaires séries venant perturber la grande maison cinéma est à peine voilée. Farouche, résistant à la séduction de la nouveauté, Sydney/Woody communique peu avec son invitée, refuse d’entendre que d’autres imaginaire­s que le sien existent. A son personnage, Allen fait dire que la révolution n’a pas de sens. A sa série, il interdit de ressembler vraiment à une série, façonnant un récit qui ne doit rien aux expérience­s menées sur HBO et ailleurs depuis vingt ou trente ans. Au fond, Crisis in Six Scenes est une série qui fait comme si les séries n’avaient même jamais existé.

Alors qu’il se doit d’organiser la fuite de la jeune femme sous l’impulsion de son épouse, le vieil écrivain sans génie (dixit lui-même) se retrouve dans une spirale de mensonges qui le transforme en petit criminel. Suivent quelques scènes d’autocitati­on agréables, notamment une charmante affaire de valise de billets. A la fin de Crisis in Six Scenes, la maison se remplit et déborde d’invités plutôt gênants (dont Gad Elmaleh, assez drôle en mari quitté), mais le Woody-personnage parvient à la vider et à retourner à son point de départ : son lit, où il ébroue sa vieillesse désormais flagrante, son petit monde domestique, son cinéma entre lui et lui. Il est parfois assez touchant de regarder un homme mettre en scène sa propre désuétude. Olivier Joyard

Crisis in Six Scenes de Woody Allen, sur Amazon

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