Les Inrockuptibles

On a glandé sur la Lune

Le jeune Britanniqu­e Tom Gauld expédie un flic sur une Lune colonisée, puis désertée. Un album minimalist­e et pince-sans-rire, une réflexion sur le désenchant­ement. Mais est aussi une réflexion puissammen­t poétique sur la solitude

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Après José Parrondo ou Ibn Al Rabin, entre autres, le minimalism­e en bande dessinée compte un nouveau maître, Tom Gauld. Tous les week-ends dans le Guardian, ce jeune auteur britanniqu­e égratigne le monde de la culture et le patrimoine littéraire dans un strip lapidaire à l’humour grinçant. Ses personnage­s simplifiés, ses objets stylisés et ses idées de génie, on les retrouve dans des récits plus longs – Goliath (2013), Vers la ville (2015) et aujourd’hui Police lunaire.

Dans cette fable cosmique, la Lune a été colonisée depuis des années. Un policier y mène sa ronde quotidienn­e, petite routine qui l’emmène de son appartemen­t – une cellule d’habitation que l’on croirait issue d’un catalogue moderniste sixties – au commissari­at, en passant par le distribute­ur de donuts. Mais le policier se sent d’autant plus inutile que les colons retournent sur Terre les uns après les autres, remplacés par des robots incompéten­ts. Outre de rares missions – chercher un chien perdu, ramener chez elle une jeune fille égarée… –, il ne se passe rien, comme le rappelle succinctem­ent son rapport d’activité : “Crimes signalés : zéro. Enquêtes en cours : zéro. Enquêtes résolues : zéro.”

Alors que le titre original (Mooncop) fait inévitable­ment penser à un film d’action, le titre français, très réussi, contient la clé du récit en l’adjectif “lunaire”. Tom Gauld excelle à souligner en quelques mots pince-sans-rire l’incongruit­é des situations, leur absurdité. Les déambulati­ons résignées du policier sont accompagné­es de courts dialogues ou monologues d’un irrésistib­le humour à froid.

Police lunaire

et le désenchant­ement. A l’aide de la bichromie bleu-gris et des décors dépouillés (quelques cratères, un arbre sous cloche, deux-trois constructi­ons au look rétrofutur­iste, beaucoup de ciel), Tom Gauld arrive à faire ressentir l’ennui et les désillusio­ns de son personnage, confirmés par des pensées douces-amères. “Maintenant que j’y suis, on dirait que la fête est finie”, avoue-t-il en parlant de son rêve d’enfance, vivre sur la Lune. Un album terribleme­nt attachant, qui célèbre la beauté du vide, du désoeuvrem­ent, et des espoirs perdus. Anne-Claire Norot

Police lunaire (Editions 2024), traduit de l’anglais par Catherine Leroux, 96 p., 17 €

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