Les Inrockuptibles

Ta’ang – Un peuple en exil entre Chine et Birmanie de Wang Bing

Une immersion documentai­re poignante au sein d’une minorité ethnique luttant pour sa survie par le cinéaste d’A l’ouest des rails. Wang Bing ne se penche pas sur des questions géopolitiq­ues,

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Au regard des neuf heures du chef-d’oeuvre inaugural tourné il y a presque quinze ans par Wang Bing (A l’ouest des rails), Ta’ang pourrait passer pour un court métrage. Formelleme­nt, c’est pourtant à ce très long métrage que fait le plus penser son nouvel opus.

Y sont mis en scène des groupes, des familles, des gens sans noms. Ils appartienn­ent à la minorité ethnique birmane qui vit à la frontière de la Chine : les Ta’ang. Depuis 2015, une guerre civile les contraint régulièrem­ent à la franchir pour se mettre à l’abri des combats.

Si les mots ont un sens, on devrait constammen­t, ici comme en Chine, rappeler que “réfugié” n’est pas un état, une essence, mais une action ou une réaction, en tout cas un agissement. Wang ne filme donc pas des réfugiés mais des gens qui se réfugient. C’est tout le sens de sa mise en scène : montrer ce que c’est que de se réfugier. C’est-à-dire fuir, s’installer le mieux possible, attendre, continuer à vivre – éventuelle­ment à rire.

ne filme aucun combat, aucun politique, aucun stratège. On ne saura rien des tenants et aboutissan­ts de cette guerre civile, de qui aurait tort ou raison. Il filme ce qu’est, pour une population, de se protéger d’une guerre, c’est-à-dire de la mort. Ce n’est que ça Ta’ang, et seulement ça. Le réalisateu­r chinois n’a rien perdu de son sens du cadrage, son matériel a évolué et les images sont d’un grain étonnant. Le film est divisé en trois parties. Dans la première, un campement de fortune. On se débrouille pour que tout le monde puisse se nourrir. On s’entraide ou pas. On parle. On téléphone avec son mobile. Les hommes p(ét)aradent avec leurs motos.

Dans la deuxième partie, une femme raconte le drame qu’elle vient de vivre : sa belle-mère est morte sous les coups des soldats. Veillée au coin du feu, images presque fantastiqu­es. Puis toute la famille se dirige vers une ville chinoise où ils sont accueillis contre versement d’une somme d’argent – les enfants ne paient pas.

Dans la troisième, on assiste en toute simplicité à la fuite d’une famille. On entend au loin les bombardeme­nts, les enfants portent les plus petits sur leurs épaules, on s’engueule un peu, on ne sait pas très bien s’il faut rester là ou bouger encore, mais personne ne crie, ne pleure, on avance, on agit. On trouve un toit, celui d’un abri (de berger ?), on s’y installe en attendant.

Ta’ang est une plongée au coeur de la réalité. Et la réalité, c’est d’abord quelque chose auquel on ne comprend rien. Wang Bing n’a rien à nous vendre. Il nous montre seulement l’humanité à nu. Rien que ça ? Mais c’est tellement immense. Jean-Baptiste Morain

Ta’ang – Un peuple en exil entre Chine et Birmanie documentai­re de Wang Bing (H.-K., Ch., Fr., 2016, 2 h 27)

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