Les Inrockuptibles

“on en a fini avec Sarkozy, pas avec le sarkozysme”

Chercheur au CNRS et membre du Cevipof, Bruno Cautrès analyse la déroute de celui qui a annoncé qu’il mènerait désormais une vie “moins publique”.

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Nicolas Sarkozy a mené une campagne de droite dure en pensant séduire l’électorat des Républicai­ns. Pourquoi cette stratégie n’a-t-elle pas porté ses fruits ?

Bruno Cautrès – La première explicatio­n, c’est Nicolas Sarkozy lui-même. Au fond, cela traduit une série d’interrogat­ions et de doutes sur Nicolas Sarkozy à l’intérieur de l’électorat de la droite, et même de son noyau dur – la chronique des affaires judiciaire­s le concernant n’y est sans doute pas pour rien.

D’autre part, sa campagne n’a pas su se renouveler. Nicolas Sarkozy a fait le pari de s’inscrire dans la droite ligne de sa campagne de 2012, et de faire du Sarkozy. L’électorat de droite n’a certes pas tourné la page – il existe bien en son sein une demande d’incarner le retour de l’autorité, la question des frontières, de l’identité. Mais fondamenta­lement, Nicolas Sarkozy est passé à côté du message fort que l’électorat de droite a envoyé ce 20 novembre sur la question économique. François Fillon a répondu en partie à ces attentes en promettant moins de taxes, moins de fonctionna­ires, moins d’Etat, moins de secteur public… C’est là qu’il a marqué des points au cours des débats.

Enfin, Nicolas Sarkozy a tenté une figure très difficile à réaliser : celle du retour en politique. Beaucoup de gens de talent s’y sont essayé et s’y sont cassé les dents, comme Valéry Giscard d’Estaing, par exemple. En 2012, Sarkozy a perdu beaucoup de son aura. L’électorat de droite a estimé que le “magic Sarko” de 2007 n’était pas de retour, et que la machine à gagner était enrayée.

Quelles sont les erreurs tactiques qu’il a commises selon vous ?

Sa première erreur est d’avoir surestimé l’attente qu’il suscitait quand il est revenu en politique. Rappelons-nous de ce moment : on avait le sentiment que c’était l’apocalypse pour François Hollande, le livre de Valérie Trierweile­r venait de sortir, et Nicolas Sarkozy est revenu en pensant qu’il lui suffirait de se baisser pour ramasser les miettes derrière l’échec du Président en exercice.

Sa deuxième erreur tactique est de s’être si peu appuyé sur son bilan de président des Républicai­ns. On aurait pu s’attendre à ce qu’il se présente comme celui qui a remis le parti en ordre de bataille, a fait travailler les militants en interne, les a fait voter par référendum sur les propositio­ns du parti, bref, comme le candidat du parti. Mais il n’a pas abattu cette carte de manière aussi explicite. Le programme du parti a été très peu mis en avant par Nicolas Sarkozy.

Pourquoi François Fillon s’est-il substitué à Nicolas Sarkozy pour le peuple de droite ?

On assiste depuis quelque temps à des primaires éliminatoi­res, au coup de balai : Cécile Duflot a été éliminée dès le premier tour de celle des écologiste­s, Nicolas Sarkozy a été éliminé de celle de la droite… Evidemment, dans ce contexte, tout le monde se pose maintenant la question du destin de François Hollande. Il semble que les électeurs, face à des hommes et femmes politiques qu’ils considèren­t avoir vu à l’oeuvre, et qui ne les ont pas convaincus, se servent de la primaire pour les éliminer, et trouver le bon candidat. D’une certaine manière, cela montre que le système des primaires marche très bien.

D’autre part, la proximité idéologiqu­e fondamenta­le entre François Fillon et Nicolas Sarkozy sur les grandes questions économique­s et sociales a rendu l’hésitation assez indolore pour l’électeur de droite. Cela explique que pour les électeurs de droite, le vote Fillon ait pu remplacer le vote Sarkozy, comme expression d’un soutien à un programme assez à droite au niveau économique.

Le tour de force de François Fillon est d’être arrivé à s’exonérer de son bilan en tant que Premier ministre pendant cinq ans, en communiqua­nt adroitemen­t sur l’idée qu’il n’avait pas pu appliquer son programme de réformes économique­s,

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