Les Inrockuptibles

Une vie de Stéphane Brizé

Même si la tentative est louable, cette adaptation d’un chef-d’oeuvre littéraire n’échappe pas à une certaine vacuité.

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avec Judith Chemla, Swann Arlaud, Yolande Moreau (Fr., 2016, 1 h 59)

Cette adaptation du roman de Maupassant semble avoir été conçue par Stéphane Brizé selon le vieil adage truffaldie­n, soit “contre” son précédent film, La Loi du marché. Après le réalisme contempora­in, le romanesque en costumes ; après un personnage très masculin, un personnage très féminin ; après la condition ouvrière par gros temps de chômage, la condition féminine dans la France corsetée du XIXe siècle.

Fidèle au roman, Brizé brosse le portrait de Jeanne à partir de son départ du couvent. Aimée de ses parents, elle épouse Julien qui se révèle avare, brutal et adultérin. Trompée par son époux, par sa domestique, par sa meilleure amie et par son fils (qui s’endette à ses dépens), Jeanne s’enfonce progressiv­ement dans la précarité et la tristesse, sans se révolter, sans perdre sa foi en l’autre.

Pour filmer ce destin très dix-neuviémist­e, Brizé s’est efforcé d’esquiver les pièges les plus attendus du film en costumes en ayant recours au format 1.33 (presque carré), à la caméra à l’épaule, aux plans serrés, comme pour se garder du “grand style encaustiqu­é” et s’attacher à Jeanne avec le maximum de proximité et d’empathie. Cette esthétique aux aguets, tremblée, sur le vif, rappelant les Dardenne des débuts, fait aussi d’Une vie un film plus raccord avec La Loi du marché qu’il n’y paraîtrait à première vue.

Une vie est traversé de belles variations d’intensité, porté par un effort louable de sécheresse de trait, mais au final on s’interroge sur la portée d’un tel film aujourd’hui. En quoi la souffrance stoïque de Jeanne éclaire-t-elle la cause féminine contempora­ine ? Quelle femme accepterai­t aujourd’hui ce qu’elle subit sans se révolter ? On peut créditer Brizé pour sa tentative de renouvelle­ment du film littéraire patrimonia­l, même si elle est parfois un brin volontaris­te, mais en restant fidèle à Maupassant il reste coincé dans une vision du féminin forcément datée, fût-elle féministe pour l’époque. Serge Kaganski

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