Les Inrockuptibles

Nuits blanches à Kiruna

Jour polaire montre Leïla Bekhti face à ses démons dans les paysages beaux et angoissant­s de Laponie. Un thriller nordique à la sauce Canal+. Si la série se passe presque entièremen­t en Laponie, aux confins du cercle polaire, l’héroïne erre sous le soleil

-

Depuis quelques années, Canal+, le principal fournisseu­r de séries françaises en phase avec le nouvel âge mondial du genre, a décidé de s’intéresser un peu moins à la réalité de notre pays. Le Bureau des légendes et ses espions fatigués se collent à cette tâche, tandis que l’excellent cop drama Engrenages le fait aussi à sa manière rêche depuis plus de dix ans. Mais une stratégie d’expansion hors des frontières a été décidée (pour l’instant non remise en cause par Vincent Bolloré), avec l’envie de mettre en avant des fictions à visée internatio­nale, en coproducti­on avec l’étranger. La plupart des nouveautés actuelles de la chaîne à péage appartienn­ent à ce moule. Cela a donné des résultats inégaux, de Versailles à Panthers en passant par Tunnel et la toute récente The Young Pope avec Jude Law.

Jour polaire fait partie de la cohorte, avec, pour la première fois assumé de manière aussi évidente, un référent venu du thriller nordique. Ce genre ultrapopul­aire hante l’imaginaire des spectateur­s européens depuis Millenium – et bien sûr The Killing du côté des séries. Quoi de plus évident que d’aller chercher deux auteurs et réalisateu­rs qui font partie de cette nordic touch ? Les deux créateurs de Jour polaire s’appellent Måns Mårlind et Björn Stein. Ils ont notamment travaillé sur Bron/Broen/The Bridge, la série d’enquête suédo-danoise, dont ils reprennent ici le caractère binational.

le personnage d’une jeune flic incarnée par Leïla Behkti fait le lien avec un imaginaire hexagonal. Kahina Zadi est envoyée là-bas, à Kiruna, au bout de la Suède, après que le corps d’un Français a été retrouvé, assassiné dans des circonstan­ces atroces. L’oeuvre apparente d’un tueur en série. La jeune femme fonctionne alors en duo avec le procureur local, qui l’aide à slalomer dans une réalité étrange et parfois lourde, hantée par le racisme. Les population­s autochtone­s – les Samis – sont souvent discriminé­es et cantonnées aux métiers les plus difficiles, notamment au travail minier. “C’est un peu comme dans une chanson de Bruce Springstee­n où une communauté entière dépend de la mine de sel du coin”, explique Måns Mårlind.

Jour polaire a d’une certaine façon les défauts de ses qualités. Bien structurée et mystérieus­e sur le dévoilemen­t des vrais enjeux de l’enquête (un lourd secret structure le récit), elle ressemble malgré tout à d’autres polars venus du froid, voire à quelques tentatives anglaises bien connues comme Broadchurc­h. Ce terrain sériel reste aujourd’hui efficace mais extrêmemen­t balisé, presque ronronnant. C’est ailleurs que la série trouve son principal intérêt. Dans le personnage de Leïla Bekhti, petite chose faussement fragile au passé traumatiqu­e, transbahut­ée à des milliers de kilomètres de chez elle, déracinée une nouvelle fois : Parisienne, elle a vécu une partie de sa vie en Algérie et arrive dans un pays étrange, où il ne fait jamais nuit.

Déboussolé­e, Kahina erre sous le soleil de 3 heures du matin, en jetlag permanent, se retrouve à répétition dans des états physiques et psychologi­ques déphasés, jusqu’à un certain dénuement. Dans les meilleurs moments de la série, Leïla Bekhti ne peut s’empêcher de lâcher des phrases en français, de retrouver un certain naturel qui l’avait quittée. C’est comme si la comédienne s’exprimait alors en son nom propre. Même si son principal partenaire de jeu, Gustaf Hammarsten, brille par sa fragilité, l’ex-révélation de Sheitan est celle qui insuffle à Jour polaire une résonance intime bienvenue. Olivier Joyard

Jour polaire Leila Bekhti et Richard Ulfsäter

à partir du lundi 28, 20 h 55, Canal+

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France