Les Inrockuptibles

Aux sources du rap

L’oeuvre de l’écrivain culte David Foster Wallace, mort en 2008, est si prolifique que paraissent encore quelques pépites jamais traduites, dont un livre passionnan­t sur le hip-hop naisssant.

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Et qu’est-ce qui fait que vous, vous voulez écrire sur le rap ?”, demande un producteur à David Foster Wallace et Mark Costello, au début de leur livre Rappeurs de sens. Entendez : “Comment deux yuppies blancs comme vous prétendez comprendre cette musique faite par les Noirs, pour les Noirs ?” Car tel est bien le rap à la fin des années 1980 : la bande-son de l’Amérique black et pauvre, nourrie par l’énergie du désespoir, magnifiée par une virtuosité verbale. Une musique alors considérée comme moche, honteuse, voire dangereuse par 99 % de l’Amérique non noire ou latino. Associée aux gangs, à la criminalit­é.

A l’origine du projet, Foster Wallace et Costello, camarades d’université et colocatair­es, se découvrent David Foster Wallace, 2006 une passion commune pour ce genre musical peu recommanda­ble. Ça donnera ce livre passionnan­t rédigé à quatre mains, à la fois essai, reportage type New Yorker, analyse stylistiqu­e et poétique (les jeux de mots brillammen­t expliqués par professeur Wallace). Le mariage d’un auteur à l’apogée de son art et d’un passionné qui sait fichtremen­t bien écrire sur son thème de prédilecti­on.

Le livre plonge dans l’univers fascinant et parfois flippant du hip-hop naissant, dans la banlieue de Boston. Les clubs interlopes, les studios et backstages. Rappeurs de sens est placé sous le signe du critique rock Lester Bangs, le gourou de Foster Wallace qui, comme lui, “a écrit ses plus belles lignes sous le coup de l’insatisfac­tion”, précise son coauteur en préface.

L’été 1989 voit se succéder meurtres et manifestat­ions dans la banlieue en question, les gangs sont en guerre. Dans la rue, les gamins les regardent d’un drôle d’air. “Comment convaincre une autre personne qu’on n’est pas plus flic qu’elle ?”, écrit Costello. Le livre s’achève à la fin de cette année, quand Foster Wallace retombe en dépression, trop faible pour écrire. C’est aussi le moment où Public Enemy, “peut-être les quatre hommes les plus dangereux d’Amérique (et sans doute nos meilleurs rappeurs)”, se sépare. Public Enemy, c’est “la liberté de réinventer le funk, de faire de la musique à danser avec Martin Luther King et des roulettes de dentistes, de dire ce qu’ils pensent, même quand ils n’y ont pas réfléchi.” Bonne définition de ce rap des débuts qu’on regrette parfois aujourd’hui.

A signaler aussi la parution d’un recueil de huit nouvelles inédites de David Foster Wallace, et de la biographie que lui consacra D. T. Max. Yann Perreau

Rappeurs de sens de David Foster Wallace et Mark Costello (Au Diable Vauvert), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Diniz Galhos, 304 pages, 20 € L’Oubli (Editions de l’Olivier), traduit de l’anglais (EtatsUnis) par Charles Recoursé, 400 pages, 2 3,50 € David Foster Wallace – Biographie de D . T. Max (Editions de l’Olivier), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jakuta Alikavazov­ic, 448 pages, 25 €

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