Les Inrockuptibles

L’Afrique désenchant­ée

S’accordant avec brio à J. M. Coetzee pour gratter le vernis de la toile idyllique de l’après-apartheid, Jean-Pierre Baro dévoile la violence de l’ordre moral qui subsiste en Afrique du Sud. Alors qu’il travaille avec une troupe réunissant des comédiens

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Il suffit d’un baiser, celui qu’une prostituée noire dépose sur les lèvres du héros blanc de Disgrâce, pour comprendre que c’est à la manière d’un peintre impression­niste que Jean-Pierre Baro va témoigner du roman de J. M. Coetzee. Spécialist­e de Byron, David Lurie est professeur de littératur­e anglaise à l’université du Cap, et ce simple tag de rouge à lèvres qui demeure sur sa bouche lui donne des faux airs du Casanova de Federico Fellini. Transforma­nt d’emblée en précieux ridicule cet homme sur le retour si fier de réaliser les fantasmes que lui inspirent ses démons de midi, Jean-Pierre Baro en fait le représenta­nt de l’aveuglemen­t propre à l’ancien régime. Démissionn­aire de l’université pour échapper au procès qu’on lui fait après une liaison avec une étudiante métisse, il trouve refuge chez sa fille Lucy, qui s’est installée à la campagne dans une ferme au coeur du bush. C’est là qu’une bande de voleurs noirs s’en prend à eux. Après avoir agressé le père et lui avoir brûlé le visage, chacun viole sa fille.

Jean-Pierre Baro refuse la démagogie d’une incarnatio­n qui distribuer­ait les rôles en fonction de la couleur de la peau. S’inspirant de la tradition de l’ethnie xhosa dont était originaire Nelson Mandela, il utilise des pigments rouges, blancs et noirs. En demandant à ses comédiens de se peindre le visage et parfois le corps, il choisit de signifier graphiquem­ent leur appartenan­ce aux communauté­s qui s’opposent. Ce refus du réalisme ouvre sur un hors-champ qui lui permet de faire superbemen­t entendre la véritable cruauté du constat dont Disgrâce est l’objet.

Au-delà de la dénonciati­on de la persistanc­e du conflit racial, c’est de l’éternelle violence faite aux femmes dont nous parle le prix Nobel de littératur­e 2003. Qu’importe que David Lurie soit blanc, il est le représenta­nt d’une société

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