“la terreur qu’ils retrouvent mes contacts”
Le cofondateur du site Les Jours, Olivier Bertrand, raconte ses trois jours de détention dans les prisons turques au simple motif qu’il exerçait son travail de journaliste. Il évoque la dérive autoritaire d’Erdogan. ans quelles circonstances avez-vous ét
DJe suis parti en Turquie le samedi 5 novembre. Après quelques jours à Istanbul, je me suis rendu à Gaziantep, au sud du pays. Je souhaitais suivre les échos de la guerre à Alep en Syrie auprès des familles qui se sont réfugiées dans cette ville. Le vendredi 11 novembre, j’avais rendez-vous dans une école syrienne. Alors que mon photographe réalise quelques photos du quartier, deux policiers en uniforme débarquent. Puis d’autres arrivent en voiture. L’un d’eux crie. Ils veulent savoir si on est journalistes et ce que l’on fait là. Il me demande comment j’ai appris l’existence de cette école clandestine, qui permet de suppléer le système scolaire local, totalement dépassé par l’afflux de réfugiés. Comme mon contact m’avait demandé la discrétion, je mens et j’explique qu’un père syrien m’a indiqué comment la trouver. Le policier ne me croit pas et il décide de nous embarquer au commissariat, avec le photographe et le directeur de l’école. Comment se passe votre interrogatoire ? Ils ne sont pas désagréables. Ils nous proposent même du thé. Mais ils me posent finalement assez peu de questions sur mon reportage ou le journal pour lequel je travaille. Ils voulaient simplement mes numéros de téléphone et les noms de mes contacts. Un policier finit par me dire : “Vous savez qu’il faut une autorisation pour travailler à Gaziantep.” Ce qui est vrai, mais je ne le savais pas. Je crois surtout que c’est le prétexte pour interrompre mon travail, essayer d’accéder à mes sources.
Pensez-vous qu’ils vous suivaient depuis longtemps et que votre arrestation a été décidée depuis Istanbul ?
Depuis la création du site Les Jours en février, nous avons publié de nombreux articles sur la situation en Turquie. Et lorsque je suis arrêté et qu’ils ne me demandent pas le nom de mon journal, je suis obligé de me demander s’ils me connaissaient, savaient qui ils arrêtaient, si c’était lié aux différents papiers que j’ai pu écrire ou au fait que je travaille également sur les suites des purges menées par le président Erdogan depuis le coup d’Etat manqué du 15 juillet et sur le retour de la torture dans les commissariats.
Ne pas savoir où tu vas et avec qui tu es est assez angoissant. Toute la journée de samedi, je suis resté dans une cellule fermée où l’on ne me disait rien et où l’on me refusait tout interprète. Ensuite, j’ai été conduit de nuit à Istanbul, menotté pendant douze heures dans un minivan Mercedes. Quand je demandais aux policiers où on allait, ils me répondaient en turc, “On y va”, en rigolant. Sur place, on m’a emmené dans un centre de rétention. Une personne qui semblait être un officier m’a dit en anglais : “Ça va aller vite, vous nous donnez les codes de vos téléphones et ce soir vous êtes en France.”
Durant tout ce temps, ma terreur était qu’ils parviennent à retrouver dans une mémoire cachée de mes téléphones certains contacts. Je lui explique que pour des raisons d’éthique journalistique, il n’en est pas question. Il me répond