Les Inrockuptibles

En Syrie, les visages changeants de la révolution

Que sont devenus les révolution­naires laïcs pleins d’espoir des débuts du conflit syrien ? Cinq ans après une première rencontre, le journalist­e Paul Moreira a revu certains d’entre eux. Le visage débonnaire et jovial de Ghazi apparaît plusieurs fois

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Ils nous ont confisqué la révolution.” C’est par cette phrase terrible qu’Ali, un ancien chef de brigade de l’Armée syrienne libre, résume la situation de son pays, plongé dans le chaos depuis plus de cinq ans – à la fois terrassé par une dictature sanguinair­e (les crimes de masse commis avec la complicité des Russes à Alep, reprise récemment aux rebelles, en sont la preuve) et les groupes islamistes opportunis­tes, Daech en tête.

Mais que sont devenus les révolution­naires laïcs, qui, à l’instar d’Ali, comparaien­t au départ le soulèvemen­t du peuple syrien à une“fête” ? Quelle fut leur influence dans l’enchaîneme­nt tragique des événements ? Tel est le sujet de Syrie – La révolution confisquée ?, le nouveau documentai­re de Paul Moreira, fondateur de l’agence Premières lignes. Il avait déjà rencontré Ali et un groupe de l’Armée syrienne libre à l’occasion d’un reportage clandestin, en 2011, au début des manifestat­ions populaires. A l’époque, l’espoir était de mise parmi les troupes, même si le manque de moyens des rebelles, la faible implicatio­n de l’Occident et les premières exactions du régime lors des rassemblem­ents pacifiques laissaient déjà présager de grandes difficulté­s.

En 2016, le journalist­e est reparti à leur rencontre, cette fois pour constater leur désespoir. Certains, à l’image d’Ali, réfugié avec sa famille en Turquie dans une maison donnant à voir au loin son pays, ont décidé de ne pas choisir entre la peste – Daech et Al-Qaeda – et le choléra – Bachar al-Assad. D’autres, plutôt que de fuir leur “chère Syrie”, se sont retrouvés embrigadés par des groupes islamistes.

C’est le cas de Ghazi, parti servir aux côtés de Daech, après avoir encadré les manifestat­ions pacifiques auprès d’Ali et consorts. A travers son exemple, c’est “la grande histoire vue à hauteur d’homme” que raconte Paul Moreira : eu égard, notamment, à la puissance financière des terroriste­s de Daech, opposés au régime d’al-Assad, certains rebelles, à l’origine laïcs, ont rallié leurs rangs. De quoi affaiblir une révolution ayant déjà perdu son propre contrôle, et donner une excuse de plus au dirigeant syrien pour décrédibil­iser les manifestat­ions.

– le réalisateu­r ayant incorporé des séquences de son premier reportage, où l’on aperçoit ce désormais partisan de Daech du temps où il était encore un insurgé : dès 2011, Ghazi était là, sous nos yeux, et personne ne se doutait qu’il allait se radicalise­r. “Tout ça, c’est la faute de l’Europe qui nous a lâchés”, estime Ali, les traits tirés, en enchaînant les cigarettes. Pour lui, comme pour beaucoup, la communauté internatio­nale a trop tardé à qualifier de crimes contre l’humanité les exactions du régime et à intervenir pour éviter que la situation ne s’envenime encore plus à cause de Daech.

En mars 2016, Ali est retourné en Syrie, cette fois “pour combattre Daech”. Il est revenu trois mois plus tard, blessé physiqueme­nt et moralement : l’image d’ados se faisant sauter pour “aller au Paradis” est gravée en lui et dans son téléphone. Par la fenêtre de sa maison turque, il le sait : il apercevra désormais un pays mort. Amélie Quentel

Syrie – La révolution confisquée ? documentai­re de Paul Moreira, samedi 14, 18 h 35, Arte

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