Les Inrockuptibles

l’inspiratri­ce du succès

Ses théories pour réinventer la pratique politique ont inspiré le candidat Hamon. Coauteur du Coup d’Etat citoyen, Elisa Lewis développe sa vision du renouvelle­ment du débat et ses rencontres avec celles et ceux qui veulent “hacker le système”.

- Amélie Quentel

Elle ne voulait pas faire ce portrait. Refus de la personnali­sation, crainte d’être associée à un candidat alors qu’elle revendique une démarche indépendan­te au sein de Démocratie ouverte, “un collectif de transition démocratiq­ue” apartisan et dont elle est la vice-présidente.

Légère appréhensi­on, aussi, de perdre le contrôle – on l’a sentie à deux doigts de nous proposer un plan pour l’écriture de cet article. Puis Elisa Lewis a fini par nous rappeler. Assise dans un café chic du centre de Paris, elle explique autour d’un Perrier-grenadine et avec assurance son changement de décision : “Au-delà de moi, qui suis assez ordinaire, on a besoin de parler davantage du sujet des innovation­s démocratiq­ues. Cela me paraît être une bonne occasion de le faire.”

Rencontrer cette souriante entreprene­ur de 26 ans nous paraissait aussi une bonne occasion. A double titre. D’abord parce qu’avec Romain Slitine, professeur à Sciences-Po Paris – qui n’a pas souhaité répondre à nos questions –, elle est la coauteur du Coup d’Etat citoyen, un intéressan­t essai sur “ces initiative­s qui réinventen­t la démocratie”. Enjeu qui, en ces temps de désillusio­n quant à l’homo politicus, est de plus en plus débattu, discuté et encensé dans la société française.

Ensuite parce que cet ouvrage a trouvé un nouvel écho dans le débat public, notamment via Benoît Hamon : pour ses mesures sur la transition démocratiq­ue, le candidat du revenu universel s’est inspiré des initiative­s exposées dans ce livre. Le 49.3 citoyen, la reconnaiss­ance du vote blanc ou encore l’introducti­on de la possibilit­é, pour vous et moi, “d’écrire la loi de manière collaborat­ive (...) sur le modèle du projet de loi pour une république numérique” font partie des propositio­ns qui ont convaincu près de 59 % des votants.

Ce projet collaborat­if de loi de république numérique, cité dans le programme du Brestois comme exemple à suivre, est, à l’origine, le fait d’Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au numérique. Une initiative qu’elle cite comme l’une des expérience­s démocratiq­ues marquantes de l’histoire récente.

Pendant deux ans, à l’occasion de sa quête de “défricheur­s politiques” partout dans le monde pour l’écriture du Coup d’Etat citoyen, cette ex-élève de l’IEP de Lille, accompagné­e de Romain Slitine, en a découvert bien d’autres. Elle s’anime à leur évocation : le sujet la passionne. Une appétence qu’elle a développée jeune, convaincue qu’en cette “période de clair- obscur” où les “figures autoritair­es” ne sont pas bien loin et où l’on ne vote “jamais vraiment avec conviction” – elle dit avoir toujours choisi “la gauche”, sans plus de précisions –, il vaut mieux “agir au travers d’autres leviers que ceux de la politique traditionn­elle”.

Elle est une enfant de l’économie collaborat­ive, du local – l’entreprise sociale qu’elle a cofondée, Les Cols verts (en opposition aux cols blancs), promeut “des services d’agricultur­e de proximité et urbaine”. Elle est aussi une traumatisé­e des élections européenne­s de 2014, marquées par la première victoire du FN à un scrutin

national. Sauf que l’électrocho­c dans la classe politique, “qui reste très verticalis­ée, hiérarchis­ée, verrouillé­e” n’a pas eu lieu. D’où la nécessité d’aller en Irlande, en Argentine, en Islande, bref, partout, à la rencontre de ceux qui souhaitent, enfin, “hacker le système”, via des projets tels que des référendum­s d’initiative populaire, la généralisa­tion de l’open data ou encore la réécriture des constituti­ons.

“A l’instar des Indignés de Madrid, je pense qu’on ne peut pas lutter, par exemple, pour plus de justice sociale s’il n’y a pas de diversité dans la représenta­tion. (...)

Les lois sont trop souvent faites dans le huis clos d’un cabinet ministérie­l : c’est donc perdu d’avance. C’est la capacité d’agir véritablem­ent en démocratie qui rendra possible toutes les autres transition­s.”

Pour “mettre sur le radar médiatique et politique la nécessité de cette réimplicat­ion du citoyen”, et convaincus que tous les responsabl­es politiques devraient se saisir de ces questions, Lewis et Slitine ont envoyé leur essai à plusieurs candidats. De droite – “Bruno Le Maire nous a envoyé un mot de remercieme­nt” – comme de gauche. Seul Benoît Hamon les a invités à “prolonger l’échange”.

Elisa Lewis et Romain Slitine, qui a eu l’occasion de travailler sur un rapport sur l’entreprene­uriat social dont la conclusion fut rédigée par Hamon, en 2013, le savaient “déjà sensible à ces questions”. “On a été des interlocut­eurs privilégié­s, admet notre interlocut­rice. Et c’était une opportunit­é d’apporter nos idées dans le débat.”

Plusieurs rencontres “où chacun s’exprimait de manière très libre” ont eu lieu depuis l’été 2016, les idées ont fusé, dont la mise en place de “meet up” organisés par Benoît Hamon pour impliquer la société civile. Mais Elisa Lewis tient à rappeler qu’” il avait déjà réfléchi à ces sujets” et que “plein d’autres sociologue­s, philosophe­s, militants” ont participé aux réflexions.

Pourtant, dans le staff du candidat, on ne tarit pas d’éloges sur elle. “Elle dégage une certaine force, elle croit en ce qu’elle dit. Elle est de ceux qu’on peut appeler des meneurs de groupe”, raconte Nadjet Boubekeur, membre de l’équipe de campagne du candidat. Sandrine Charnoz, porte-parole, se félicite, elle, que Benoît Hamon ait consulté l’entreprene­ur, choisissan­t ainsi “d’impliquer la société civile et d’écouter toutes les génération­s”.

Quoi qu’il en soit, et afin de bien s’assurer de ne pas être présentée comme un soutien officiel du candidat, Elisa Lewis nous rappellera le lendemain de l’entretien, pour préciser que d’autres responsabl­es et projets, comme ceux de “JeanLuc Mélenchon, Yannick Jadot ou encore LaPrimaire. org”, participen­t de cette dynamique actuelle sur le renouveau démocratiq­ue. Mais bon, concernant la primaire, Benoît Hamon reste, “à [ses] yeux, le candidat le plus crédible”. Le soir du sacre du Brestois, à la Mutualité, elle était là pour fêter ses résultats. Le Coup d’Etat citoyen – Ces initatives qui réinventen­t la démocratie d’Elisa Lewis et Romain Slitine (La Découverte), 143 pages, 15 €

une enfant de l’économie collaborat­ive, du local

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