Les Inrockuptibles

Jackie de Pablo Larraín

Plus classique dans sa facture, mais finalement plus tenu que son récent Neruda, le premier film américain de l’estimé cinéaste chilien.

- Serge Kaganski

Au moment où les Etats-Unis changent de président et de logiciel, où les comparaiso­ns vont bon train entre Michelle Obama et Melania Trump et où resurgit le fantôme de Jackie Kennedy à travers la tenue de la nouvelle première dame, la sortie de ce nouveau film de Pablo Larraín (deux mois après son Neruda) prend un relief particulie­r. Il faudrait pourtant regarder ce film en faisant abstractio­n de la réverbérat­ion de l’actu, mais ce n’est pas si facile.

Larraín a pris une option intéressan­te : plutôt que raconter toute la vie de Jacqueline Bouvier-Kennedy-Onassis, se concentrer sur les quelques jours de novembre 1963 entre l’assassinat de JFK et ses funéraille­s. Période très courte mais ô combien intense et significat­ive pour saisir quelque chose de la personnali­té de Jackie et de l’étrange réalité du pouvoir.

Au cours de ces journées dramatique­s, la vie de Jackie Kennedy fut constammen­t écartelée entre deux régimes contradict­oires, un peu comme les deux corps du roi, réel et symbolique : la vie intime et la vie protocolai­re, médiatique, symbolique. Pendant ces quelques jours, Jackie fut à la fois une veuve choquée et une première dame devant assurer son rôle, une mère de famille en situation compliquée face à ses enfants en bas âge et une icône devant faire bonne figure, une femme seule virée de chez elle (la Maison Blanche) et aux prises avec le clan Kennedy (Bob, déjà à l’affût du pouvoir) mais un symbole devant rester droit et stoïque pendant la transition, un être frappé d’un immense et brutal chagrin mais scruté par les caméras et stylos du monde entier, et tout cela dans une atmosphère de paranoïa maximale, l’assassin de JFK étant lui-même abattu le lendemain…

Une bonne part de la réussite du film passe par Natalie Portman,

qui doit porter dans son jeu toutes ces lignes de haute tension, avec une difficulté supplément­aire : entrer dans la peau d’une icône en faisant oublier l’icône qu’elle est elle-même. Elle s’en tire remarquabl­ement bien, comme dans cette séquence de recréation d’un docu de propagande de la Maison Blanche où elle joue (très bien) Jackie qui jouait faux.

Il est intéressan­t aussi de comparer le classicism­e élégant de Jackie au baroquisme borgésien et parfois indigeste de Neruda, comme si Larraín adaptait son style à celui des personnage­s qu’il recrée. Et surprise (ou pas) : par sa tenue et son courage héroïques dans des circonstan­ces tellurique­s, et grâce au regard précis et sobre posée sur elle, une veuve de président peut engendrer un meilleur film qu’un poète mythique.

Jackie de Pablo Larraín, avec Natalie Portman, Peter Sarsgaard, Greta Gerwig (E.-U., 2017, 1 h 40)

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Natalie Portman

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