Les Inrockuptibles

Love Streams de John Cassavetes

Reprise du dernier et bouleversa­nt film de Cassavetes, dans lequel Gena Rowlands, à son sommet, interprète sa soeur dépressive et fantasque.

- Murielle Joudet

Il a fallu attendre 1984 pour que John Cassavetes nous délivre la clé de son oeuvre, logée dans le titre de son dernier film. “Love Streams”, qu’on traduit par “torrents d’amour” ou encore “flux d’amour” : voilà peut-être ce que le cinéaste n’a jamais cessé de vouloir filmer, de vouloir capter depuis Faces. Ce flux d’amour invisible, c’est ce qui passe entre les corps, les malmène, ce qui vient se heurter aux acteurs, puisque chez Cassavetes il s’agit moins de filmer des personnage­s que des vrais rapports humains, de réaliser des documentai­res sur les acteurs et les visages qu’il aime. Et en premier lieu, de se faire le commentate­ur, via la fiction, de sa relation avec Gena Rowlands.

Dans Love Streams, elle est Sarah Lawson, une femme fantasque et dépressive en pleine instance de divorce et qui, pourtant, aime trop fort sa famille. Cassavetes, lui, incarne Robert Harmon, un écrivain à succès dont la maison est pleine de femmes, des chanteuses, des danseuses et des prostituée­s, qu’il fréquente pour retrouver l’inspiratio­n. Love Streams dresse le portrait d’un homme et d’une femme qui s’efforcent de tenir debout – la règle veut que chez Cassavetes les personnage­s ne soient jamais réellement armés pour la vie, littéralem­ent ils ne tiennent pas debout. Ce sont deux êtres qui n’arrêtent pas de tomber, qui semblent ne pouvoir supporter la vie qu’à l’horizontal­e, comme si, d’Une femme sous influence à Opening Night, les corps se faisaient lourds, soumis à une gravité plus puissante que d’habitude. Se loge d’ailleurs là, peut-être, tout le génie d’actrice de Gena Rowlands : elle fut la première à savoir si bien chuter, à révéler, à travers cette position couchée, la vérité de son être et de son jeu. Sarah, qui a perdu la garde de sa fille, débarque chez Robert ; on ne sait pas à cet instant qui ils sont l’un pour l’autre, on apprendra au détour d’une réplique qu’ils sont frère et soeur. Si Cassavetes met autant de temps à nous réveler cette parenté, c’est que cela n’a pas réellement d’importance : frère, soeur, amis ou anciens amants, c’est un peu de tout ça qu’il y a entre Sarah et Robert, entre John Cassavetes et Gena Rowlands. Car ce qui compte finalement n’est pas tant le statut de leur relation que ce “flux d’amour”, qu’il importe de filmer. Ce courant ininterrom­pu, qui commence dès les tout premiers films de Cassavetes, traverse sa filmograph­ie et s’enroule autour de tous les corps et de tous les visages filmés par le cinéaste.

Love Streams de John Cassavetes, avec lui-même, Gena Rowlands, Diahnne Abbott (E.-U., 1 983, 2 h 21, reprise)

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Gena Rowlands et Seymour Cassel

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