Diamants noirs
Hervé Bourhis & Brüno signent, à travers de multiples histoires et anecdotes souvent savoureuses, une passionnante saga des musiques noires américaines.
Bobby Womack et Sly Stone sur le qui-vive mais raides défoncés lors d’une session, le premier album très hot de Betty Davis, qualifié de honte par l’Association pour les progrès des gens de couleur, et la tentative avortée d’un magazine Playboy noir : ici, la galerie de personnages et la collection de situations sortent d’un juke-box enchanté.
Après deux livres comparables (format carré d’une classe folle) consacrés aux Beatles et au rock, Bourhis le scénariste évoque toute la musique qu’il aime, de 1619 et les premiers chants dans les plantations de Virginie à un hommage à Prince. Brüno le dessinateur reproduit (et, la plupart du temps, embellit, comme en témoigne la couverture) des pochettes de disques : une par année, du Louis Jordan de 1945
à Kendrick Lamar en 2015. Il insère aussi quelques courts strips, dont l’hilarante aventure de Solomon Burke se produisant en 1962 dans une fête… du KKK. Naturellement, l’option du noir et blanc
ou d’une polychromie succincte offre une indiscutable beauté à l’ensemble, et la maquette (deux pages par année) draine le flot des anecdotes. Cela pourrait être un bémol, car le livre délivre un programme extrêmement copieux d’historiettes édifiantes en tout genre (Gladys Knight, passant d’une addiction au jeu de baccara aux Mormons). Mais l’hypothèque est levée lorsqu’on lit l’album comme il doit être consommé : au petit bonheur la chance de l’ouverture, et sans souci de chronologie.
Une deuxième petite réserve réside dans la portion congrue concédée aux dimensions politiques, sociétales et économiques de la black music. Mais ceci n’empêche pas d’espérer prochainement un nouveau volet de cette saga des rythmes sans fin qui permettrait, par exemple, d’explorer plus en profondeur le jazz. Christian Larrède