Les Inrockuptibles

Dans la tête de l’ado numérique

Deux journalist­es à L’Obs ont enquêté sur le rapport des jeunes à leur smartphone. Des réseaux sociaux à la drague, du porno à la sécurité, une étude au peigne fin qui liquide quelques idées reçues.

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Qu’est-ce que les adolescent­s peuvent bien faire à longueur de journée sur leurs smartphone­s ? Voilà la question à laquelle répond une enquête menée par Céline Cabourg et Boris Manenti, journalist­es à L’Obs. A l’heure où plus d’un parent sur deux admet être dépassé par cette “génération tête baissée” – et a tendance à imaginer le pire sur le rapport des bambins chéris à leurs écrans –, les auteurs proposent des clés de compréhens­ion, de nombreux récits de jeunes mais aussi des conseils de spécialist­es afin de mieux appréhende­r ce “phénomène de société”.

Réseaux sociaux, porno, drague – on appréciera la mention de “l’évocatrice aubergine”, émoji censuré d’Instagram en 2015 – ou encore sécurité sur le web : tous les sujets y passent. Les ados interrogés, d’horizons divers, s’expriment sans filtre sur l’utilisatio­n de leur portable, objet qu’ils assimilent, non sans lyrisme, à “toute leur vie”. D’après les dernières études citées par les journalist­es, 93 % des 12-17 ans possèderai­ent ainsi un cellulaire, allant du bon vieux Nokia 3310 (parfois) au smartphone dernier-cri (souvent), et 78 % des moins de 25 ans se considèrer­aient addicts.

Et si les auteurs n’occultent pas les problèmes que peuvent induire une utilisatio­n excessive ou naïve des portables – des photos compromett­antes sur le web, synonymes de traumatism­es importants, la tendance à une “hypersexua­lisation des jeunes filles”, un manque de sommeil aux conséquenc­es néfastes, des tensions familiales… –, ils entendent aussi expliquer aux parents que, non, le smartphone et ses différents usages ne riment pas forcément avec nuisible, pour peu qu’ils fassent preuve d’un minimum de pédagogie envers leurs enfants.

Un exemple parmi d’autres : selon une étude de l’OCDE, “les élèves qui jouent (modérément et seuls) à des jeux vidéo” obtiendrai­ent de “meilleurs résultats” que les autres dans certaines matières. Ainsi, avec un portable, et idéalement une bonne connexion wifi, “plus besoin de faire le mur pour s’évader” : “Ce couteau suisse numérique s’impose comme une incroyable fenêtre ouverte sur le monde.” Une fenêtre vers l’autonomie, aussi, que les parents ne doivent pas saisir comme excuse pour “fliquer” leurs gamins, au risque de les braquer et les pousser, par ricochet, à des conduites risquées.

D’autant qu’à “l’ère de l’image” le portable n’est finalement qu’un nouveau moyen de constructi­on et d’affirmatio­n de soi. Le “capital social” théorisé par Pierre Bourdieu augmente désormais proportion­nellement au nombre de likes sur ses selfies et à l’étendue de son réseau sur Snapchat. Et même si, du fait de la multiplica­tion des canaux de communicat­ion et d’exposition de soi, les ados “se posent beaucoup plus de questions qu’avant”, selon un socio-anthropolo­gue cité dans l’ouvrage, rien de bien nouveau sous le soleil : “cette même envie de partage pour mieux se définir soi-même” fut de tout temps le propre des teenagers.

En plus, par son universali­té, et à l’inverse d’autres marqueurs sociologiq­ues, le smartphone semble, à première vue, effacer “les barrières sociales et géographiq­ues” – même si les journalist­es nuancent finalement un peu ce propos, les ados suivant majoritair­ement “ceux qui parlent de leur quotidien et leur ressemblen­t”. Amélie Quentel

une fenêtre vers l’autonomie que les parents ne doivent pas saisir comme excuse pour “fliquer” leurs gamins

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 ??  ?? Portables : la face cachée des ados de Céline Cabourg et Boris Manenti (Flammarion), 239 pages, 19 €
Portables : la face cachée des ados de Céline Cabourg et Boris Manenti (Flammarion), 239 pages, 19 €

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