Les Inrockuptibles

Chris Claremont, X-treme man

Scénariste des X-Men pendant dix-sept ans, créateur des intrigues portées à l’écran par Bryan Singer, Chris Claremont a réussi à rendre fun un message humaniste. Retour sur un parcours exceptionn­el, entre Londres, New York et Israël.

- par Vincent Brunner

scénariste des X-Men pendant dix-sept ans, il a réussi à rendre fun un message humaniste. Portrait

Dans une réalité parallèle, il pourrait recevoir le prix Nobel de la paix pour l’ensemble de son oeuvre ou être à la tête d’une fondation aidant les talents inouïs. Oui, même sans la boule à zéro immortalis­ée au cinéma par Patrick Stewart, le scénariste Chris Claremont tient un peu de Charles Xavier, le professeur des X-Men. Un personnage qu’il n’a pas créé mais à qui il a donné de l’âme et du corps pendant les dix-sept années de rang où il a animé sur papier la série mutante de Marvel.

Auteur d’une oeuvre copieuseme­nt adaptée sur grand écran par Bryan Singer, Claremont est à lui seul une tranche de pop culture vivante. “Au début des années 1960, je ne lisais de la BD que chez le coiffeur. Et puis, les Fantastic Four de Stan Lee et Jack Kirby m’ont séduit.” Lui qui se destinait à une carrière d’acteur se téléporte dans les bureaux new-yorkais de Marvel. Homme à tout faire puis assistant, il signe des scénars dès 1972. “Le rédacteur en chef déboulait : ‘Il est 17 heures, j’ai besoin d’une histoire de Daredevil pour 9 heures demain matin. Qui est partant ?’ J’ai levé la main et respecté les règles d’or de Stan Lee : être dans les temps, ne pas faire chier et vendre un minimum.”

A partir de 1975, il remplit largement les trois conditions avec l’équipe de mutants de X-Men, série tout juste relancée avec de nouveaux personnage­s – l’Africaine Storm qui contrôle les éléments, le Canadien griffu Wolverine, Colossus, l’homme de métal russe… Si, au départ, le dessinateu­r Dave Cockrum et lui naviguent à vue, ils trouvent la bonne formule en construisa­nt, autour de la love story entre Scott Summers (Cyclops) et Jean Grey (Phoenix), des intrigues intenses bourrées de rebondisse­ments et de questions existentie­lles sousjacent­es. Avec un autre artiste, John Byrne, Claremont brise un tabou en montrant Jean Grey, possédée par une entité inhumaine et détentrice d’un pouvoir illimité, exterminer 5 milliards d’extraterre­stres. Dans cette saga de 1980 qui brise le coeur de millions de lecteurs, la superhéroï­ne choisit de se sacrifier. A une époque où spoiler est impossible, l’issue surprend autant qu’elle émeut. C’est en réalité Jim Shooter, son boss, qui l’impose, choqué que Jean reste impunie. “John Byrne et moi ne pensions pas avoir le droit de tuer un personnage.”

Sinon, Claremont ne s’interdit rien : dévoiler un futur oppressant où les héros sont exterminés ou parqués dans des camps de concentrat­ion (la dystopie glaçante de Days of Future Past, transposée au cinéma par Singer en 2014) ; montrer les troupes d’un prêtre intégriste procéder à des lynchages (dans God Loves Man Kills, sombre roman graphique qui a servi de matrice au film X-Men 2). Dans ses mains, le comic-book véhicule un touchant message antidiscri­mination. “Pour moi, les X-Men ont toujours été une métaphore, un moyen d’insister sur la nécessité de construire une communauté sans sacrifier les individual­ités.”

Ce sexagénair­e n’a jamais oublié son cruel vécu d’immigrant : arrivé directemen­t de Londres en Amérique, il part à l’école avec l’uniforme anglais traditionn­el – blazer, cravate, etc. “Je me suis fait botter le cul. La première leçon que j’ai apprise, ça a été de m’intégrer pour ne plus me faire dérouiller.” Une autre expérience l’a marqué : les quelques mois passés en 1970 dans un kibboutz israélien, alors qu’il était dégoûté des Etats-Unis. “L’administra­tion Nixon était au pouvoir, il semblait que la guerre du Vietnam aurait lieu pour toujours, la garde nationale venait de tuer des étudiants à Kent.”

En Israël, avec des survivants de la Shoah, il voit le film Jugement à Nuremberg. “A l’apparition des vraies images des camps, le silence a été impression­nant.” Une décennie plus tard, il donne à Magnéto, l’ennemi juré des X-Men, une raison de haïr l’humanité : l’exterminat­ion de sa famille à Auschwitz, événement dramatique qui ouvrira le premier film X-Men. Prenant modèle sur David Ben Gourion ou Menahem Begin, responsabl­e notamment d’une attaque terroriste avant de devenir Premier ministre, Claremont place Magnéto sur le chemin de la rédemption et lui confère l’épaisseur qui lui manquait. “Jusqu’alors, il était pas mal ridicule avec son casque de métal de 10 kilos sur la tête.”

Trois années plus tard, avec Bill Sienkiewic­z, il imagine le personnage de Légion. Fils du professeur Xavier et d’une autre rescapée des camps, il est habité par plusieurs personnali­tés dont celle d’un jeune terroriste palestinie­n. Doté d’un superpouvo­ir – éviter le manichéism­e –, le scénariste ne néglige pas le quotidien. Ses héros mutants font du shopping, la fête et se bourrent la gueule. “Mes personnage­s évoluaient dans le monde réel. Sinon, pourquoi se soucier de mecs en costume moulant ?”

En 1991, après avoir établi un record en vendant plusieurs millions d’X- Men n °1 (conçu avec Jim Lee), il passe la main. “J’avais perdu de vue la réalité : les personnage­s appartenai­ent à Marvel.” Il ira ensuite chez la concurrenc­e (DC), collaborer­a avec George Lucas, essaiera sans succès d’installer ses créations. Lié par un contrat exclusif avec Marvel, il attend qu’on lui fasse signe pour une nouvelle série. Pour patienter, il va voir comment Légion a été adapté en série télé. L’Amérique de Trump aurait bien besoin de comic-books empreints de son discours humaniste. “Après ce malheureux épisode à l’école, j’ai passé les soixante années suivantes à regarder par-dessus mon épaule. Cet incident n’aurait pas dû avoir lieu. C’est pour ça que, quand quelqu’un emménage dans notre quartier, on va à sa rencontre pour lui souhaiter la bienvenue.”

Chris Claremont et ses X-Men participen­t à l’exposition Shoah et bande dessinée – L’image au service de la mémoire jusqu’au 30 octobre au mémorial de la Shoah, Paris IVe lire aussi la critique du catalogue de l’exposition p. 86

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#150, 1963, où Magnéto révèle son passé à Auschwitz
Séquence extraite de Uncanny X-Men #150, 1963, où Magnéto révèle son passé à Auschwitz

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