Les Inrockuptibles

l’ouragan HMLTD

- Par JD Beauvallet

le groupe londonien, radical et explosif, est en tournée en France. A découvrir au festival GéNéRiQ. Rencontre

Groupe radical et explosif, HMLTD vient souffler le chaud sur les scènes françaises. La musique de ces Londoniens, toute en assauts sexy et en bourrasque­s rythmiques, est une des grandes raisons d’espérer en 2017. A découvrir au festival GéNéRiQ.

Un froid de gueux, la tempête qui souffle, l’orage qui menace, on devine même des tornades à l’horizon. Déjà, partout règne la dévastatio­n et le carnage : le paysage en ressortira totalement défiguré, modelé. C’est un de ces cyclones qui, trop rarement, forcent l’Angleterre à se repenser, à se reconstrui­re sur les décombres.

Sinon, dehors, à Londres, il fait beau. On parlait juste de ce qui se passe dans la musique de HMLTD. Leur local de répétition fait dix mètres carrés. S’y entassent à peine 250 kilos de jeune viande blanche londonienn­e, nerveuse, sans gras. Six jeunes hommes d’à peine 120 ans en lot. Trois Français, deux Anglais, un Grec. Soit le futur le plus excitant, le plus insolent, le plus sexy de la pop anglaise.

Nous sommes dans un boui-boui à deux pas d’Old Street et pourtant, exactement comme on imagine La Femme dans sa cave, le groupe est sapé comme des New York Dolls jouvenceau­x, jouant ses chansons avec la flamboyanc­e que tant d’autres ne réservent qu’aux concerts de prestige. Pas de déguisemen­t, de distance : ce qu’on voit, ce qu’on entend, c’est HMLTD, à temps plein, sans répit, sans sortie de secours. Pas de chiqué, pas de pose, le groupe est littéralem­ent emporté, porté par ses convulsion­s de guitares, ses assauts synthétiqu­es, sa rythmique en bourrasque­s.

HMLTD joue serré, tassé. Une chanson qu’on n’avait jamais entendue cinq minutes auparavant devient immédiatem­ent notre préférée de 2017. La suivante aussi. Le groupe semble également les découvrir en direct, échangeant entre les titres des surréalist­es “C’était qui qui a fait ce bruit génial sur le refrain ?” – avant de se rendre compte que deux parties ont été rajoutées dans l’euphorie, et qu’elles offrent de nouvelles perspectiv­es à ces chansons déjà chargées en idées, en arrangemen­ts baroques.

Aux murs et sur les amplis, quelques trophées : un bouquet de fleurs, une lampe de chevet de manoir anglais, une peluche chelou, une veste fluo de la police londonienn­e, un mannequin de magasin : un bordel hétéroclit­e et pourtant ordonné qu’incarnent pareilleme­nt les chansons faussement improvisée­s du groupe. Car on découvre en direct la maniaqueri­e, le soin du détail de cette musique explosive, dévoilée l’été dernier, quand le groupe, absent alors des réseaux sociaux, s’appelait encore Happy Meal LTD. “On a changé de nom car il semblait satirique. Nous ne sommes pas au deuxième degré.” Malgré ce nom problémati­que (y compris, sans doute, pour McDonald’s), le groupe semblait d’entrée posséder son propre plan de vol, ses propres règles. “Il y a un vaste masterplan, confirme Duke, l’un des deux guitariste­s. Nous entrons dans la phase deux, ça va être énorme.”

Dance-music pour le chaos du temps présent : pogo ou go-go, dans le désordre ou la sensualité, ces chansons convoquent les corps, dans une fièvre et une transe qui agitent le groupe même dans son minuscule local de répétition. Les garçons s’engueulent (“ton truc, ça sonne comme du Dr. Dre de fin de série”), on entend des mots doux comme “dictateur” et en même temps, ils se jettent des regards admiratifs, amoureux presque. On tient là un de ces groupes rares aux songwriter­s multiples, aux équilibres instables, aux rivalités dangereuse­s mais vitales. Ils le reconnaiss­ent d’ailleurs : leur musique est beaucoup plus que la somme d’eux six. “Elle nous échappe quand nous sommes ensemble, nous courons après cette magie pour tenter de l’encapsuler avant qu’elle ne s’évapore, dit le très beau Henry. La nuit, elle nous hante, nous empêche de dormir. Mais bon, si on joue dans un groupe et qu’on dort sur ses deux oreilles, autant arrêter tout de suite. HMLTD n’est pas un hobby.” “Nous sommes la preuve que la volonté est plus forte que le destin, enchaîne Duke. Nous avons brûlé tous les ponts pour cette musique. Et nous lui donnons tout, avec une discipline de fer. Nous ne savons pas où nous mène le pont devant nous, mais là où on va est plus excitant que ce qu’on laisse derrière.”

Et effectivem­ent les six garçons, aimantés par le miroir aux alouettes londonien depuis leurs frustratio­ns campagnard­es (Henry) ou parisienne­s (Duke et Nico), ont sacrifié pour cette

“si on joue dans un groupe et qu’on dort sur ses deux oreilles, autant arrêter tout de suite. HMLTD n’est pas un hobby” Henry

musique toute idée de carrière, de vie privée, de bien-être, même. Ils avouent passer douze heures par jour ensemble, sept jours sur sept. Henry : “Londres était un phare dans ma nuit. Je rêvais de ces opportunit­és artistique­s depuis mon bled du Devon, je voulais rencontrer des gens comme moi, enfin.” Duke enchaîne : “A Paris, j’étais écrasé par le cynisme, le conservati­sme. J’y devenais fou.”

Quand Duke rencontre Henry dans une soirée, ce dernier est victime d’une violente crise d’anxiété. Duke l’apaise en lui parlant de musique, d’art, de littératur­e : l’idée de ce groupe qui serait un tout, où la musique ne serait qu’une facette, prend alors forme. Même s’il faut six répétition­s à Henry pour enfin ouvrir sa bouche derrière le micro. Sa timidité s’est depuis bien évaporée : il parle avec assurance de la campagne de François Fillon comme de Le Corbusier ou des prouesses des production­s r’n’b. Dans une nouvelle scène londonienn­e largement inscrite en art schools, le groupe fait figure d’exception, ayant fui comme la peste l’enseigneme­nt collectif de l’art afin d’en poursuivre une quête plus personnell­e, plus vaste, moins hiérarchis­ée.

A une chargée de production venue discuter de la prochaine vidéo de The Door, le groupe évoque ainsi quelques références visuelles : David Lynch, les westerns-spaghetti, une poursuite de voiture ou le clip Telephone de Lady Gaga. Devant sa perplexité face à ce groupe à six voix, Henry lui offre une explicatio­n : “Nous ne sommes pas un groupe mais un Politburo.” Car si cette musique ne parle que d’une voix, affolée, dérangée, on ignorera pour toujours ce qui l’a vraiment nourrie lors de longs et complexes débats internes. On y soupçonne au mieux des éléments de l’after-punk – Devo, PIL, Talking Heads – mais tellement déformés, maltraités qu’ils sont défigurés. Le batteur Achillies explique : “Quand tu vas chez le boucher et qu’il fait de la viande hachée à partir de plusieurs filets, tu ne sais plus de quelle bête ils proviennen­t. Pareil pour notre musique.”

HMLTD est exactement l’anti-Coldplay, le groupe fonce tête la première dans la matière, dans le brasier, dans le vide. “Pas besoin de jouer dur, jouons frénétique” ou “Enlevons des notes” font partie des dogmes improvisés que les musiciens se jettent à la face entre deux tentatives de la même chanson, métamorpho­sée en direct. Les conversati­ons sont interminab­les mais le groupe utilise les ressources du home-studio jusqu’à ses limites, testant scrupuleus­ement les suggestion­s des uns et des autres. Ainsi se révèlent les fausses bonnes idées, les simples poussées d’ego et les vraies avancées. C’est la beauté de ce labeur : ne pas être pris à la gorge par l’horloge qui tourne – le luxe de rigueur pour un groupe aussi expériment­al.

Devant l’absence de rires, de sourires même, on mesure le sérieux de l’entreprise, la concentrat­ion qu’ordonne cette musique qui ne demande qu’à prendre la tangente, qu’à sortir violemment de son lit. Pour preuve, ce moment où Henry fait écouter un doo wop signé Elvis en référence d’une chanson en chantier, pendant que la guitariste James propose un beat industriel et sombre, basé sur du verre brisé. La routine, quoi.

Plus tard dans la répétition, Achillies s’inquiète subitement, alors que le groupe peine à trouver l’arrangemen­t juste sur une chanson. “Et si on avait épuisé notre stock d’idées ?” Dans un coin du studio, nous nous retenons d’éclater de rire, tant les nouvelles propositio­ns surgissent dans

une profusion affolante. Chaque chanson pourrait en devenir dix tant elles entassent pistes et fausses pistes. Chacune est une odyssée, un trip, que l’on finit à genoux, exténué, béat.

Le groupe semble contempler, impassible, le chaos, la table rase, la remise à zéro qu’a ordonné internet, avec ce passage en force d’une culture verticale – structurée par les dates, les mouvements, les époques – à une culture horizontal­e. A la fois fifties dans ses rockabilly hoquetés, sixties dans son psychédéli­sme, seventies dans son glam outrancier, eighties dans son electro furieuse, cette musique est pourtant parfaiteme­nt de son époque. Elle découle de la faillite d’une industrie et de la naissance de pratiques neuves qui ont énergisé toute une scène, forcé des musiciens à redéfinir leur façon de se présenter, de se commercial­iser, de s’incarner.

HMLTD propose ainsi un univers “clé en main”, développé sans adultes, sans garde-fous, sans régulateur. Duke : “Dès le départ, une des idées était de contextual­iser la musique, qu’elle existe dans un système plus vaste.” Et l’ampleur du système donne des vertiges. A eux, à nous.

On n’est pas certain qu’une carrière à long terme soit compatible avec une telle tension, un tel appétit pour le néant. On l’avait ressenti avec WU LYF, par exemple, il y a quelques années : que l’intensité du groupe le condamnait à imploser, que sa passion était aussi son poison. On ne le souhaite surtout pas aux sidérants HMLTD. Mais si on était vous, on se grouillera­it quand même d’aller les voir, notamment au festival GéNéRiQ. Ils sont, sur scène, ce qui se fait de plus excitant en Angleterre actuelleme­nt. Un jour, vous raconterez leurs concerts à vos enfants.

concerts le 15 février à Annecy, puis le 16 à Besançon, le 17 à Dijon et le 18 à Belfort dans le cadre du festival GéNéRiQ

 ??  ?? Duke, Henry et James, troisd es sixm embres de HMLTD, toujours sapés comme des New York Dolls, même lorsqu’ils répètent dans leur cave
Duke, Henry et James, troisd es sixm embres de HMLTD, toujours sapés comme des New York Dolls, même lorsqu’ils répètent dans leur cave
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