Les Inrockuptibles

musiques Octave Noire, H-Burns…

Après plusieurs vies dans l’ombre, le Parisien Octave Noire voit enfin le jour avec un premier album sidérant de beauté et de maîtrise, qui agrandit l’horizon de la pop électroniq­ue et onirique made in France.

- Christophe Conte

Comme le remarquait JLG dans son premier court métrage, tous les garçons s’appellent Patrick. Du coup, Patrick Moriceau a choisi de se présenter en artiste sous le nom autrement plus mystérieux d’Octave Noire. Des octaves et des noires comme sur le piano, son instrument guide, celui à partir duquel sont nées les mélodies féeriques et capiteuses de son premier album. Noire comme le souvenir de l’Afrique, où il a passé les dix années de sa prime jeunesse, son père objecteur de conscience ayant mis le cap sur la Côte d’Ivoire. Noire, surtout, comme la lumière fluorescen­te qui transperce ses chansons et les transforme en halos surnaturel­s, à commencer par ce Nouveau monde magnétique dévoilé à l’automne et qui ouvre dans sa version longue le prodigieux Néon.

A l’écoute des neuf titres de l’album, on devine que ce garçon a tout absorbé, de la musique électroniq­ue vintage à la chanson pop en passant par les soundtrack­s seventies, et qu’avec

“comme je suis plutôt un contemplat­if de nature, je peux passer des heures à observer le futile comme le grandiose”

cette matière il a ordonnancé de manière intuitive une fresque sensible, faite de moments contemplat­ifs et de reliefs épineux, de mots bleus et de mélodies savantes. Un travelling arrière nous en dit un peu plus sur lui, jadis petit démiurge d’une electronic­a ludique et secouée de spasmes dub sous le nom d’Aliplays (album Pom Z en 2000), musicien en parallèle dans un groupe de chanson française, Bazarnaüm, tendance La Tordue/Têtes Raides, et telle confusion esthétique méritait bien une remise à zéro des compteurs.

Dans la même conversati­on, Octave Noire ose autant d’accords vertigineu­x qu’en studio, passant de Kraftwerk à Balavoine, de Satie ou Debussy à Higelin, de Robert Wyatt à Véronique Sanson, puis bifurque du côté d’Ali Farka Touré pour le retour aux sources africaines et retombe en France du côté de Benjamin Biolay et Sébastien Tellier. “Ma musique tient du sensoriel, j’essaie d’éveiller des sensations chez l’auditeur, je ne suis pas dans une démarche narrative, donc toutes les musiques qui m’ont nourri peuvent y trouver leur place.”

A 43 ans, il a eu le temps de mûrir et de couver jalousemen­t ce qui aujourd’hui explose comme un feu d’artifice au ralenti. Il est passé par les musiques de films et les commandes alimentair­es pour des sonneries de téléphone ou pour la pub, il a composé et joué beaucoup pour les autres avant de penser à lui et a retenu quelques leçons de tous les rendez-vous ajournés. Précis, méticuleux, arrangé avec un soin maniaque, Néon ressemble déjà à ces disques sans âge ni port d’attache qui ont jalonné l’histoire de la pop française, de La Mort d’Orion de Manset (sans le côté mystique) à Melody Nelson et sa suite royale signée Jean-Claude Vannier (L’Enfant assassin des mouches), de certaines grandes oeuvres de Christophe (pour la poésie nocturne) ou de Chamfort (pour la voix tamisée) jusqu’aux odyssées spatiales de Air. “J’ai toujours accordé beaucoup d’importance à la structure des morceaux, à la constructi­on à partir d’un thème et d’un développem­ent. Je fais en sorte que l’on puisse aborder chaque chanson par le détail comme par son ensemble.”

Le choix du titre, Néon, fait ainsi simultaném­ent référence au gaz rare présent dans l’atmosphère et aux lumières urbaines du coin de la rue, à l’infiniment grand et à l’infiniment petit : “C’est le sujet de la chanson Un nouveau monde et c’est ce qui m’intéresse en général. Tout ce qui nous dépasse me fascine, et comme je suis plutôt un contemplat­if de nature, je peux passer des heures à observer le futile comme le grandiose.”

Ce disque, qu’il a entièremen­t conçu en solitaire, Octave Noire l’a voulu comme une grande symphonie utopiste, un refuge bienveilla­nt face aux cataclysme­s du monde, comme l’illustre le clip splendide d’Un nouveau monde, réalisé par Gaëtan Chataigner, où des humains en perdition finissent par trouver un abri dans une grande coupole où joue le groupe. “Je suis plutôt un optimiste, je crois en la nature humaine”, claironne celui dont l’album est sorti le jour de l’investitur­e de Trump.

La recherche d’absolu du côté de Lisbonne (Belem Belem) ou la kora qui introduit une variation autour du Temps des cerises (My Hand in Your Hand) sont autant de pistes de réconfort, même si certaines orchestrat­ions grandiloqu­entes indiquent un chaos imminent et qu’entre spleen et idéal ces plages turbulente­s refusent de choisir.

Capable aussi d’ancrer son monde impalpable dans des lieux étonnants, comme le dancing boule à facettes de Sur un tube disco, Octave Noire s’offre à toutes les extensions envisageab­les, en live comme en studio, et pourrait dès lors voir très loin. “J’aimerais poursuivre dans cette direction mais y rajouter un peu de folie”, conclut-il, le finale électronir­ique de The Shapes ouvrant sur une voie possible.

album Néon (Yotanka/Pias) concerts le 10 février à La Rochelle, les 18 et 19 à Dijon, le 11 mars à Saint-Pierre-de-La Réunion, le 27 avril à Paris (Maroquiner­ie), le 16 juillet à Carhaix (festival Les Vieilles Charrues)

 ??  ?? OctaveN oire (au centre) et ses deuxm usiciens, Ton’s(clavie rs) et Franck Richard (batterie)
OctaveN oire (au centre) et ses deuxm usiciens, Ton’s(clavie rs) et Franck Richard (batterie)
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France