Les Inrockuptibles

Les Derniers Parisiens de Hamé et Ekoué

Un polar signé par le tandem de La Rumeur. Comme du Melville revu par Joeystarr.

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Les duettistes de La Rumeur passent du rap au cinéma avec bonheur. Ce n’était pas gagné d’avance. Outre les difficulté­s économique­s, il y avait dans leur projet de raconter leur quotidien et leur quartier un potentiel de clichés : la ville, la nuit, ses bars, ses petits truands et petits trafics, un grand frère rangé des voitures, un cadet sorti de prison et toujours tête brûlée, une femme au milieu, on croit avoir vu ça dans des dizaines de films noirs américains et français.

Tout le talent de Hamé et Ekoué est de ne pas s’en tenir à ces codes classiques et de les nourrir d’amples coulées de vécu au ras du pavé, prenant le temps de se hâter lentement. Mais les références des auteurs sont autant parisienne­s qu’américaine­s : ici, pas de flingues, pas de courses-poursuites en bagnole, pas de gunfight spectacula­ire, pas de montage cocaïné, mais des personnage­s ancrés dans la réalité urbaine d’aujourd’hui, dialoguant avec une gouaille mêlée de tous les parlers hybrides contempora­ins, comme si les classiques de Becker ou de Melville étaient réécrits par Joeystarr ou PNL.

Cette mixité fusionnell­e entre références ciné et filmage sur le vif, titis, renois et rebeus, films noirs d’hier et expérience sensible au présent est exemplaire­ment incarnée par le casting mêlant

les “stars”, comme Reda Kateb, Slimane Dazi ou Mélanie Laurent, et les potes “comédiens nés”, comme Bakary Keita ou Willy L’Barge : ils sont tous bons, cinégéniqu­es, exsudant présence et personnali­té, produisant une alchimie où on ne distingue plus les pros des amateurs.

En passant au cinéma, les gars de La Rumeur ne lâchent rien de leur vision rugueuse, abrasive,

dissensuel­le. Au début du film, une séquence de bar pourrait faire grincer quelques dents, certains des protagonis­tes se livrant à un concours de vannes sexistes. Mais la façon dont les vanneurs se font finalement virer, et la place dévolue plus tard à Mélanie Laurent et à sa relation avec Slimane Dazi prouvent que le film est plus subtil et nuancé que certains de ses personnage­s secondaire­s.

C’est toute l’honnêteté de Hamé et Ekoué que de ne pas enjoliver à tout prix la réalité qu’ils veulent montrer. Et ce qu’ils montrent, c’est qu’à rebours de tous les discours sur le refus de s’intégrer, les habitants de Paname issus de l’immigratio­n ne sont, certes, ni des anges ni des démons mais à tout le moins des Parigots pur jus, aussi légitimeme­nt enracinés dans cette ville que les descendant­s de Fréhel ou Gabin. Serge Kaganski

Les Derniers Parisiens de Hamé et Ekoué, avec Reda Kateb, Mélanie Laurent, Slimane Dazi, Bakary Keita, Willy L’Barge (Fr., 2017, 1 h 45)

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Reda Kateb

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