Fences de Denzel Washington
avec lui-même, Viola Davis (E.-U., 2016, 2 h 19) Le portrait d’un éboueur noir dans l’Amérique très ségréguée des années 1950. Solennel et illustratif. Il y a tout un tas de clôtures (“fences”, en anglais) dans le premier long métrage de Denzel Washington, qui accomplit ici, comme tant d’autres avant lui, le fantasme de “passer derrière la caméra”. Il y a celle, d’abord littérale, que bâtit Troy Maxson (Denzel Washington, de tous les plans) dans son jardin, où se déroule l’essentiel de l’intrigue de cette adaptation d’une célèbre pièce de théâtre américaine écrite par August Wilson en 1983. Il y a ensuite les clôtures mentales qui séparent Troy de ses contemporains. Eboueur gouailleur et râleur dans le Pittsburgh encore très ségrégué des années 1950, celui-ci rend la vie impossible à son fils, à son frère, à son épouse (Viola Davis, la seule ici à être irréprochable), tant il a accumulé au cours de son existence les frustrations – raciales, sociales ou sexuelles. La troisième clôture, enfin, est d’ordre esthétique, et elle est hélas fatale au film : c’est celle, sempiternelle, entre le théâtre et le cinéma, que seuls les grands metteurs en scène parviennent à franchir, et sur laquelle Denzel Washington, bien trop conservateur, se fracasse. Tout à l’érection de sa propre statue (avec bien sûr à la clé une nomination aux oscars), l’acteurréalisateur déclame son texte 2 h 20 durant (l’éternité), de la plus pompeuse et illustrative des façons, incapable de donner corps à la pourtant passionnante ligne historique qui relie le Civil Rights Movement (naissant dans les 50’s) à Black Lives Matter (symbole de l’impuissance des années Obama). Jacky Goldberg