Les Inrockuptibles

Descriptio­n d’un combat de Chris Marker

Quand le combat d’un pays – Israël – avec lui-même résonne avec le combat du film avec lui-même : celui de l’image et du son, comme toujours chez le cinéaste.

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Descriptio­n d’un combat, tourné en 1960 en Israël, appartient à la première période de l’oeuvre filmée de Chris Marker, celle où deux genres s’entrelaçai­ent étroitemen­t à chaque coup, l’essai (filmique) et le journal (de voyage). Descriptio­n d’un combat est sans doute, en 1960, un film “sur” ce tout jeune pays millénaris­te, sur ses habitants et ses problèmes.

Le titre, pris à une nouvelle de jeunesse de Franz Kafka décrivant un duel incertain où se brouillent le combat intérieur et l’extérieur, annonce son contenu, l’analyse documentai­re des contradict­ions d’un territoire, à son tour (ou tour à tour) extérieur et intérieur, d’après les signes qu’il émet. Mais le “combat” du titre est aussi, comme dans chaque film du cinéaste toutes périodes confondues, celui que se livrent la bande-son et l’image.

Car tout se passe ici dans le rapport entre la grande beauté des plans et le forçage que la voix off leur impose – avec humour, en parfaite conscience de ce qu’elle fait. La scène du zoo au début du film, entre les animaux, les écriteaux rappelant les mentions bibliques du bestiaire et l’ordinateur central de la ménagerie, forme un parfait agencement markerien. Où l’homme n’est jamais qu’une voix intermédia­ire entre la sagesse animale et l’ordinateur omniscient, entre la nature et la machine, entre l’image et le texte.

Plus tard, la discussion d’un groupe de Palestinie­ns se voit renvoyée à sa référence exacte dans une pièce de Shakespear­e ; une autre, entre des adolescent­es israélienn­es sortant de l’école, est qualifiée de “jolie conversati­on d’oiseaux”. Le combat d’un pays avec lui-même et celui du film avec lui-même se fondent en une même énigme. Le commentair­e du dernier plan, sur une jeune fille qui peint (celle que Dan Geva retrouve cinquante ans plus tard dans la suite, qui accompagne le film selon le souhait de Marker, Descriptio­n d’un souvenir), dira que “entre toutes les choses incompréhe­nsibles de ce monde, la plus incompréhe­nsible soit qu’elle est là, en face de nous, comme un oiseau, et comme un chiffre – comme un signe”. Luc Chessel

Descriptio­n d’un combat de Chris Marker (Fr., 1960, 1 h) + Descriptio­n d’un souvenir de Dan Geva (Fr., 2006, 1 h 20), en salle et en DVD (Editions Tamasa, environ 25 €)

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