Les Inrockuptibles

Houla, Hoop

A la croisée du folk et du rock, entre terre et ciel, austérité et légèreté, le cinquième album de Jesca Hoop, discrète country girl américaine installée à Manchester. Jesca a commencé toute petite, à l’église puis à l’école.

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Comment aborder la discrète Jesca Hoop, dont Memories Are Now est quand même le cinquième album, sans qu’on se souvienne avoir beaucoup écouté les précédents ? Parce que sa musique évoque une clairière enchantée dans le grand bois touffu du folk américain, on l’imagine en fille de la montagne un peu sauvage, vivant dans une petite chaumière en rondins qu’elle aurait construite elle-même, de ses mains pourtant délicates. Mais en fait, elle vit à Manchester. Pas le Manchester du Tennessee, ni même celui du New Hampshire, mais celui du nord de l’Angleterre. Parce que sa musique est largement basée sur de frais entrelacs de voix féminines (la sienne multipliée) qui percent un chemin secret dans le coeur des auditeurs, on pense à ces chanteuses mi-femmes, mi-elfes comme il y en a eu dans le grand nord de l’Europe (Agnes Obel, Stina Nordenstam). Quand on lui demande où elle se sent chez elle, elle répond : “A Austin, à Manchester, à Los Angeles et dans le comté de Sonoma.”

Mais qui donc est cette chanteuse déboussola­nte ? Elle est née en 1975 à Santa Rosa (comté de Sonoma), dans le nord de la Californie. C’est aussi là où vit Tom Waits, que Jesca Hoop connaît bien puisqu’elle a gardé ses enfants et qu’il lui a prodigué ses premiers conseils quand elle a décidé de se consacrer à la musique. Mais avant cela, Jesca a grandi dans le carcan d’une famille mormone. Pas très longtemps : à 15 ans, alors que ses parents divorcent, elle décide de partir et de tourner le dos à la stricte morale de ce mouvement religieux. Elle s’installe avec des étudiants, découvre le rock, puis, façon hippie californie­nne, se cache dans la nature et s’évade dans une vie bohème, s’imaginant fermière. “C’était romantique comme projet, mais le travail physique était dur. J’ai compris que je délaissais ce que je savais faire de mieux : chanter.”

Sa mère était férue d’opéra et soprano amateur. Son père jouait un peu de guitare et adorait le folk des hippies, Crosby, Stills & Nash ou Leo Kottke. “J’ai commencé à chanter pour passer le temps, pour m’amuser. Sérieuseme­nt, mais pour moi. Je n’avais aucune ambition, aucun projet dans la musique. D’ailleurs, l’absence de projet est une constante dans ma vie. Je faisais des chansons mais j’étais juste une country girl de Sonoma County, je ne savais pas du tout comment trouver un label ou sortir un disque.”

Parmi les bons génies qui ont permis à Jesca Hoop d’entrer dans le métier, il y a d’abord Tom Waits, puis Elbow (c’est par amour pour un proche du groupe qu’elle s’est installée en Angleterre), et le musicien et producteur Blake Mills qui a travaillé sur tous ses albums. Sur Memories Are Now, Jesca Hoop est à la guitare et au chant, Blake Mills au reste – un peu de basse, de batterie et de guitare. Fiona Apple vient jouer de l’harmonica sur un morceau, mais on la remarque à peine.

Memories Are Now est un disque less is more, où l’économie de moyens sert l’espace et la liberté de chansons autant ancrées dans le folk terrien que flottant au-dessus des nuages : rude comme le gospel blanc du vieux temps de l’Amérique, et voué à la connexion avec plus grand que soi. Une forme de folk-rock austère et dense dont l’énergie éolienne rappelle souvent PJ Harvey, et il n’y a aucune raison de s’en plaindre. Stéphane Deschamps

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album Memories Are Now (Sub Pop/Pias)

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