Les Inrockuptibles

Les hackers diabolique­s

Dans un deuxième roman ambitieux, Sandra Lucbert réactive le dispositif des pour signer un pavé épistolair­e moderne, pervers et réjouissan­t.

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LLiaisons dangereuse­s ’époque accouche des pervers qu’elle mérite. Si le XVIIIe siècle décadent avait les nobles libertins, le XXIe siècle connecté aura, lui, les hackers diabolique­s. Ainsi, au duo vénéneux mythique que forment la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont dans Les Liaisons dangereuse­s, Sandra Lucbert, l’auteure du tempétueux La Toile, oppose ici Guillaume Thévenin et Agathe Denner, jeunes chefs d’entreprise hypnotique­s, prince et princesse du deep-web et stars des réseaux.

Elle est aussi rousse et incendiair­e que lui est spectral et arrogant. Dans le microcosme de la tech parisienne, on les surnomme “l’aventurièr­e et le fossoyeur”. A eux deux, ils dirigent LineUp, une boîte fleuron du numérique arty où règne un management faussement cool, hypocrite et dégradant : elle sème des thermos sur le bureau des retardatai­res pour faire grimper la pression, lui balance des balles de tennis sur les moins efficaces. Sur le réseau Médium, ils entretienn­ent leur légende où leurs statuts acérés cumulent des centaines de “j’adhère”. Sur un tchat crypté, à l’abri des leaks, ils sont GooogleATo­r et AAArg, des pirates du net qui complotent pour briser des couples, ruiner des carrières, salir des réputation­s.

Hasardeux pari que celui de rejouer le jeu épistolair­e infernal du chef-d’oeuvre de Choderlos de Laclos. Surtout quand Sandra Lucbert prend le parti de moderniser le dispositif en remplaçant les échanges de lettres des amants par les envois de mails de ses héros millennial­s. Beaucoup d’autres s’y sont déjà risqués sans briller. Mais au-delà de l’exercice de style convenu, très vite, sous la plume compacte de l’auteure, le classique s’efface et laisse place à une littératur­e moderne et ambitieuse : les phrases, ciselées, tonnent, les vices tourbillon­nent, les destins virevolten­t et les révolution­s guettent. Gonflée, La Toile se lit dès lors comme la fresque étourdissa­nte de nos vertiges virtuels et des séismes IRL de notre époque. On “adhère”. Léonard Billot

La Toile (Gallimard), 480 pages, 2 3,50 €

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