Les Inrockuptibles

La révolution russe sort de son mausolée

A l’occasion du centenaire de la révolution russe, un documentai­re ausculte son histoire, loin du culte de Lénine et du catéchisme insurrecti­onnel d’Eisenstein.

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Nous les vieux, nous ne verrons sans doute jamais une révolution de notre vivant.” Le 1er janvier 1917, Lénine (un des cent soixante pseudonyme­s utilisés dans sa vie par Vladimir Ilitch Oulianov), 47 ans, n’est guère optimiste sur la perspectiv­e d’un grand soir. Exilé à Zurich, à la tête du Parti bolcheviqu­e, il ne voit pas venir les “dix jours qui ébranlèren­t le monde”, selon l’expression restée fameuse du journalist­e socialiste américain John Reed. La prise du palais d’Hiver à Petrograd en octobre 1917, il y a cent ans presque jour pour jour, lui offre un démenti inespéré.

L’événement a été reconstitu­é par Eisenstein dans le film de propagande soviétique Octobre, sous la forme d’une insurrecti­on populaire massive. “Depuis, ce sont toujours ces images qui font perdurer le mythe de la révolution d’Octobre”, explique le documentai­re Lénine, une autre histoire de la révolution russe. En réalité, la prise du palais d’Hiver a davantage ressemblé à une “opération de police”.

C’est tout l’intérêt du travail de Cédric Tourbe, avec l’historien Marc Ferro et le politologu­e Michel Dobry : à partir d’archives exceptionn­elles, et en s’appuyant sur les récits de témoins privilégié­s – comme le socialiste révolution­naire Nicolas Soukhanov –, ils donnent à voir l’envers d’une histoire “réécrite, censurée, maquillée” par Staline au lendemain de la mort de Lénine, en 1924.

Ainsi, celui qui fut souvent dépeint comme l’âme politique de l’insurrecti­on apparaît à l’occasion ballotté par le cours imprévisib­le de l’histoire. Quand il harangue la foule, lors de son arrivée à Petrograd le 3 avril 1917, en expliquant qu’il faut transforme­r la “guerre de rapine impérialis­te” en guerre civile contre les capitalist­es dans chaque pays, celle-ci lui répond par un silence gêné. Même sa femme, Nadejda Kroupskaïa, confie alors s’être inquiétée pour sa santé mentale.

Il faudra que les soldats, les marins et les paysans se jettent avec toute l’énergie du désespoir dans le soulèvemen­t armé pour que le “monde change brutalemen­t d’horaire” (Stefan Zweig) et que les bolcheviqu­es, par opportunis­me historique, en sortent triomphant­s. Le documentai­re se termine par une pancarte brandie dans une manifestat­ion en 1918, après que l’assemblée constituan­te a été fermée de force, et alors que la démocratie soviétique a été confisquée par un seul parti : “Les Russes ne sont pas des rats de laboratoir­e pour les expérience­s de Lénine.” On connaît la suite. Mathieu Dejean

Lénine, une autre histoire de la révolution russe documentai­re de Cédric Tourbe, mardi 28, 20 h 50, Arte

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Manifestat­ion de femmes demandant le droit de vote, Petrograd, 1917

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