Les Inrockuptibles

tout de bon

Les créateurs de The Good Wife reviennent avec The Good Fight, excellente série judiciaire pleine de swing, de sagacité politique, comme sa devancière.

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très peu de séries grand public ont abordé une matière politique et sociale avec autant de cran

Notre joie ne tient qu’à un fil. A l’existence de quelques personnes assez motivées et bien intentionn­ées pour prendre en charge l’une des plus hautes ambitions qui soient dans le domaine de la culture populaire : articuler une forme et une pensée sans céder aux raccourcis que semble parfois exiger le mainstream. En ce moment, les Américains se débrouille­nt comme des chefs dans ce domaine, avec quelques sitcoms de prime time passionnan­tes comme Mom et Black-ish, et bien sûr le plus beau drame de l’année, This Is Us. Mais les maîtres du jeu sur le long terme s’appellent Michelle et Robert King, époux à la ville et redoutable duo créatif de showrunner­s au travail.

A ces quinquagén­aires tout sauf dépassés, on doit déjà l’une des grandes réussites de la dernière décennie, The Good Wife (2009-2016), qui racontait un pays en inspectant les tours et détours de la vie d’une femme trompée, humiliée et finalement libérée. Son spin-off The Good Fight – créé par les King avec Phil Alden Robinson – n’emprunte pas seulement à son titre deux mots sur trois, il lui pique aussi l’un de ses personnage­s majeurs, la très smart Diane Lockhart (Christine Baranski), avocate de renom au bord de la retraite, qui doit changer d’avis contrainte et forcée (n’en disons rien de plus) et repartir dans la joyeuse sarabande qu’est le milieu judiciaire de Chicago. Par un habile tour de passe-passe scénaristi­que où l’on croise d’autres figures connues, la sexagénair­e se retrouve catapultée dans un nouveau cabinet où l’ensemble du personnel est noir. “Vous pourriez remplir nos quotas diversité”, plaisante celui qui lui propose de l’embaucher.

Ce genre de dialogue incisif et drôle, qui démonte en quelques mots choisis les ressorts du corps social américain,

fait de The Good Fight une héritière déjà puissante de son aînée. Tout le savoirfair­e des King s’affiche dans cet habile maniement de l’ironie, cette manière d’inventer un monde fictionnel stylisé (tout en élégantes accélérati­ons empruntées à la comédie classique hollywoodi­enne) mais parfaiteme­nt conscient des enjeux qui agitent le monde. La série incarne une forme de progressis­me ultra-offensif, dénonçant quelques horreurs – racisme, sexisme… – qui occupent encore l’espace de nos vies. Depuis Urgences et A la Maison Blanche, très peu de séries grand public ont abordé une matière politique et sociale avec autant de cran que celles de Michelle et Robert King. Dans les trois premiers épisodes de The Good Fight, le nom de Donald Trump est cité de façon récurrente, pas seulement pour créer un efficace punching-ball scénaristi­que. La série réfléchit à la question de cette créature hors-norme dès son prologue, quand Diane Lockhart regarde le serment d’investitur­e à la télé. Elle invente aussi un savoureux personnage d’avocat noir qui a voté pour le nouveau Président et subit les foudres de ses collègues. On sait déjà que les King ne lâcheront pas leur proie.

On pourrait reprocher à The Good Fight de ressembler quasiment trait pour trait à The Good Wife : la structure des épisodes (une affaire à traiter + des enjeux personnels entre personnage­s principaux) ainsi que le décor (un cabinet d’avocats et des salles d’audience) sont ici répliqués. Mais les légers déplacemen­ts opérés, comme l’irruption au centre du récit d’un cabinet d’avocats afro-américains et d’une nouvelle figure féminine complexe (Rose Leslie), montrent que Michelle et Robert King persévèren­t et épaississe­nt leur point de vue. Ils ont raison. Olivier Joyard

The Good Fight sur CBS

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CushJ umbo et Rose Leslie

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