Nathalie Skowronek Un monde sur mesure
Les aïeux de l’auteure ont fui la Pologne antisémite pour la Belgique où, depuis trois générations, la famille s’est spécialisée dans le prêt-à-porter. Une histoire hantée par la Shoah.
Se retourner sur le passé et raconter la construction d’une communauté. S’interroger sur son héritage et observer la fin d’un monde. Dans son nouveau livre, Nathalie Skowronek fait de sa famille l’échantillon représentatif d’un pan de l’immigration yiddishophone et retrace le parcours de ses ancêtres qui, partis de Pologne au début du XXe siècle, se spécialisent dans le commerce de vêtements et de cuirs. L’auteure belge fait revivre ces gens qui commencent à arpenter les marchés avant même de savoir parler la langue du pays d’accueil et, trois générations plus tard, sont toujours dans le prêt-à-porter, comme s’il n’existait pas d’autres métiers possibles. Nathalie Skowronek s’imaginait arrimée à ce monde-là, au point de reprendre l’entreprise familiale par automatisme, avant de se tourner vers l’écriture. Elle analyse finement ce qui en elle subsiste de ce passé, dans sa manière de se vêtir et tout simplement de vivre. L’intérêt de son livre est qu’il ne tient ni de la saga ni de la fresque historique. Skowronek décrit minutieusement une façon de travailler, montrant qu’elle prend racine dans un shtetl qu’il a fallu, un jour, fuir à toutes jambes. “Je venais d’une famille, d’une communauté, d’un milieu qui s’étaient arrachés à un monde et rêvait d’en pénétrer un autre. Personne ne voulait avoir à revivre l’errance.” Tout en débusquant et déconstruisant les clichés antisémites, elle se garde de nous livrer un récit édifiant sur l’intégration, préférant analyser les rouages d’un système de survie sans cacher ses revers. Lorsqu’une usine au Bangladesh s’effondre, révélant les conditions de travail dans l’industrie textile, elle s’interroge sur l’aveuglement de gens qui n’ont pas su, pu ou voulu voir que le milieu du prêt-à-porter s’était fait complice d’esclavagistes. Parce que c’est aussi ce que décrit son livre, le capitalisme triomphant des Trente Glorieuses qui assure l’aisance, puis soudain s’emballe quand le marketing et la mondialisation imposent des logiques nouvelles. Et puis il y a l’autre versant du monde de Nathalie Skowronek, les fantômes qui peuplent les familles, l’horreur des camps et le poids des souvenirs. Ainsi, la grandmère maternelle, magnifique personnage, traverse le récit les épaules voûtées, murée à jamais dans ce jour lointain où ses parents ont disparu.