Les Inrockuptibles

James Gray, un homme en colère

Délaissant New York pour les vastes espaces d’Amazonie, James Gray livre avec The Lost City of Z un film d’aventures intimiste et somptueux. Rencontre avec un cinéaste inquiet et en colère.

- propos recueillis par Jean-Baptiste Morain photo Iorgis Matyassy pour Les Inrockupti­bles

délaissant New York pour les vastes espaces d’Amazonie, le cinéaste américain livre avec The Lost City of Z un film d’aventures intimiste et somptueux. Entretien

James Gray approche de la cinquantai­ne, mais il n’a guère changé depuis ses débuts – en dehors de ses cheveux, qu’il laisse désormais pousser après les avoir longtemps rasés. Né dans une famille d’immigrés juifs russes et ukrainiens, Gray est un petit gars du Queens boudeur et surdoué. On le sait depuis Little Odessa – il n’avait alors que 25 ans. Grand, doté d’une voix de basse, il parle lentement, pesant chacun de ses mots, usant d’un vocabulair­e recherché.

Il désirait tourner The Lost City of Z depuis bien longtemps. Le projet avait déjà capoté une fois. Entre-temps, il avait tourné The Immigrant (après The Yards, La nuit nous appartient, Two Lovers). Le voici enfin, ce film tant désiré : magnifique, mystérieux. Pourtant, le jour où nous l’avons rencontré, Gray semblait assez las. On nous avait dit qu’il était épuisé. Nous désirions lui parler de Trump, qui venait tout juste de prendre le pouvoir. A vrai dire, le sujet est venu rapidement dans la conversati­on sans que l’on ait à lui poser de questions : James Gray et sa colère étaient grands, la fatigue soudain oubliée.

Au-delà de l’histoire d’un explorateu­r, on comprend très bien en voyant The Lost City

of Z qu’il s’agit aussi d’une histoire de famille comme dans tous vos films. Qu’est-ce qui vous intéressai­t dans cette histoire ?

James Gray – Je n’étais pas du tout intéressé par le fait de tourner un film d’aventures ou d’exploratio­n. La première chose qui m’attirait était l’idée d’une personne participan­t à un système de classe rigide et pernicieux dont les dommages l’atteignent non seulement elle, mais aussi tous les gens qui l’entourent. Dans le film, la classe supérieure britanniqu­e regarde Fawcett (Charlie Hunnam) de haut. Mais lui, de son côté, empêche sa femme, pourtant éduquée, de le suivre dans ses expédition­s. Une fois en Amérique du Sud, tous les Européens, qu’ils soient trafiquant­s ou propriétai­res d’esclaves, regardent les Amazoniens comme des êtres inférieurs, non d’un point de vue spirituel, mais d’un point de vue matériel. Et les Indigènes se méprisent entre eux aussi.

Je voulais explorer cette tendance naturelle des êtres humains à diviser les genres et les gens en classes. C’est parti de là. C’était le point de base de ce que j’appellerai­s ma “tapisserie épique”. Ensuite, la vie familiale des personnage­s reflète cette lutte interne au sein des sociétés. Je crois notamment que la division en genres affecte non seulement les rapports entre homme et femme, mari et épouse, mais aussi entre parents et enfants.

Il y a une scène magnifique dans votre film, qui le fait basculer dans une autre dimension : celle où le fils de Percy Fawcett, devenu adulte, vient trouver son père et lui propose de repartir avec lui en Amazonie.

Au départ, mon intention était de réaliser un film en plusieurs épisodes. Et le film a gardé cette structure. Chaque séquence montre que Fawcett vit sa vie comme une succession d’épisodes. Mais ce n’est pas la manière dont ses enfants perçoivent sa vie et la leur, qui leur apparaît forcément fragmentée, parce que les relations qu’ils entretienn­ent avec lui sont fragmentée­s – il part, revient, repart…

L’histoire raconte d’abord l’origine de son obsession, puis elle progresse vers ce moment où, devenu un découvreur, un héros pour les géographes, il trouve le salut, retrouve la dignité, accède au statut social supérieur qui avait été perdu par son père. Puis il échoue : sa deuxième expédition, avec le milliardai­re lâche, est un échec, la Première Guerre mondiale éclate, il y perd la vue. Il ne peut plus repartir pour trouver enfin la cité de Z, il ne lui reste plus rien que la transcenda­nce. Mais où la trouver ?

Je sais que je n’ai pas le talent de Cimino ou de Coppola, je sais que je ne pourrai jamais faire Apocalypse Now ou Voyage au bout de l’enfer, des films que j’admire, mais je ne peux pas non plus refaire ces films.

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