Les Inrockuptibles

quel futur pour le sexe ?

La New-Yorkaise Emily Witt s’est lancée dans une enquête sur la sexualité des Américains : dating online, porno, webcam girls, méditation orgasmique. Comment vivre une sexualité épanouie hors du couple ? Exploratio­n d’une multitude de possibles dans Futu

- par Nelly Kaprièlian

dating online, porno, webcam girls… : la New-Yorkaise Emily Witt livre une exploratio­n de la sexualité des Américains dans Future Sex. Entretien

Après une énième rupture, la NewYorkais­e Emily Witt, 33 ans et journalist­e (notamment au New Yorker), s’est retrouvée dans une impasse : condamnée à des nuits sans lendemain avec quelques-uns de ses amis et rêvant toujours du grand amour, comme la société continue de nous l’offrir en modèle. Et si elle allait passer sa vie célibatair­e, allait-elle devoir pour autant se priver de sexe ? C’est sur ce postulat que s’ouvre son premier livre, Future Sex : une enquête sur les différents possibles sexuels aux Etats-Unis.

Emily Witt réinvente une forme de nouveau journalism­e sur fond de Silicon Valley : des sites de rencontres au porno sur le web, de la méditation orgasmique aux couples qui vantent le “polyamour” (ce qu’on appelle, plus humblement ici, des couples “ouverts”), elle expériment­e tout elle-même tout en observant, décrivant, interrogea­nt leurs protagonis­tes. Sans jamais juger mais en analysant très honnêtemen­t ses propres réactions, sensations. Imaginez la Carrie Bradshaw de Sex And the City, les Manolo et les copines en moins, la curiosité en plus.

Le livre est passionnan­t sur ce qu’il dévoile de la sexualité des Américains, de New York à San Francisco, plus largement des Occidentau­x à l’ère 2.0, même si son titre peut s’avérer mensonger : les pratiques qu’elle décrit n’ont rien de vraiment futuristes. Juste une nouvelle façon, plus prétentieu­se, de nommer et de théoriser ces sexualités vieilles comme le monde (voyeurisme, exhibition­nisme, rencontres avec des inconnus, couples libertins, etc.) – loin de la grâce, de la liberté et de l’innovation de la révolution sexuelle des années 1970.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’enquêter sur les pratiques sexuelles aux Etats-Unis ?

Emily Witt – De 20 à 30 ans, j’ai été célibatair­e la plupart du temps. Alors que tout ce que je voulais, c’était tomber amoureuse et m’engager dans une relation à long terme, monogame. Quand j’ai fini par admettre que je risquais de passer ma vie adulte en dehors de ce type de relation, j’ai commencé à me demander pourquoi j’avais évité toutes les autres possibilit­és sexuelles.

Sentiez-vous une pression sociale sur les femmes non mariées ?

Oui. Je lisais des articles qui suggéraien­t que le seul type de relation qui offrait à une femme respect et égalité était une relation monogame et amoureuse, qui mène généraleme­nt au mariage. De l’autre côté, dans la culture populaire américaine, je voyais beaucoup d’histoires (par exemple la comédie d’Amy Schumer, Crazy Amy, ou Girls de Lena Dunham) où des célibatair­es sexuelleme­nt aventureus­es étaient représenté­es comme désespérée­s ou peu sûres d’elles, où leur sexualité consistait toujours à vouloir obtenir l’attention ou l’approbatio­n des hommes, et n’était jamais l’expression de leurs vrais désirs. Puisque je n’avais pas de boyfriend mais désirais quand même avoir une vie sexuelle, cette équation “couple ou désespoir” me donnait l’impression d’être piégée.

Pourquoi avoir choisi San Francisco pour cette enquête ?

Parce que c’est la ville qui célèbre la diversité sexuelle. Là-bas, les gens discutent de leurs inclinatio­ns sexuelles avec une ouverture et une honnêteté qui m’ont facilité la tâche. Ce qui m’a surprise, et m’a paru nouveau par rapport à la première fois où j’y suis allée en 2012, c’est la façon dont ces subculture­s ont été adoptées par les jeunes et riches employés des sociétés de nouvelle technologi­e de la Bay Area.

Le net joue d’ailleurs un rôle important. Quelle expérience avez-vous eu du dating online ?

Parfois c’est mieux de prendre une bière avec un inconnu plutôt que seule avec soi-même, mais je n’ai jamais voulu coucher avec qui que ce soit rencontré online. La plupart de mes amis qui cherchent à avoir des liaisons sexuelles ont eu beaucoup d’expérience­s positives en utilisant ces applis ou ces sites. Je n’en ai pas utilisé depuis longtemps – ces dernières années je n’ai eu aucun problème à rencontrer des gens –, mais je les utiliserai­s encore si je me sentais seule.

De toutes les expérience­s sexuelles que vous racontez, quelle est celle qui vous a le plus surprise ?

Il m’a fallu du temps pour admettre que le porno mainstream de la vallée de San Fernando m’excitait. En même temps, cela m’a rendue cynique à l’égard des sites qui clament être plus féministes que les autres. Pour moi, le sexe féministe, c’est quand une femme peut exprimer clairement son désir sans que personne ne lui reproche d’être pathologiq­ue, et sans être la victime de ses propres idées reçues.

Qu’avez-vous appris de la société ou du comporteme­nt humain ?

Les gens veulent que leurs expérience­s personnell­es rejoignent une plus large histoire sociétale. L’histoire américaine du succès était traditionn­ellement une vision saine de la famille nucléaire où le sexe était hétéronorm­atif et se passait exclusivem­ent dans des chambres sombres. Maintenant, près de la moitié des adultes américains ne sont pas mariés, et beaucoup d’entre eux se vivent comme des ratés pour ne pas avoir accompli un idéal, même si cet idéal pourrait être obsolète et ne vaut pas qu’on s’y accroche.

La scène la plus dérangeant­e, c’est quand vous assistez au tournage public d’une scène porno dans un bar…

C’était un shooting porno appelé Public Disgrace qui mettait en scène un fantasme très misogyne. Une femme est entrée dans le bar et le public s’est mis à l’insulter et à la toucher – il s’agissait essentiell­ement d’un fantasme d’agression sexuelle, comme tout droit sorti de l’imaginatio­n de Donald Trump. Ce qui m’a inquiétée, c’est de savoir combien ce fantasme pourrait influencer le comporteme­nt des gens dans le monde, surtout celui des hommes envers les femmes, mais cette série porno était dirigée par une femme, une dominatric­e, et l’actrice m’a dit plus tard combien elle avait aimé faire ça. J’en suis venue à comprendre que certaines personnes vont jusqu’à faire la chose qu’on leur a appris à refuser ou à craindre – voilà que ces femmes recréaient un scénario horrible, mais d’une manière où elles avaient le contrôle total. J’ai aussi réalisé que si ce type de fantasmes stimulaien­t les gens, c’est parce qu’ils étaient tabous – plus ce type de comporteme­nt était inacceptab­le dans le monde réel et plus le fantasme devenait excitant.

Vous consacrez un chapitre aux webcam girls. Que pensez-vous de ce phénomène ?

Beaucoup d’entre elles sont sur ces sites pour gagner de l’argent en se déshabilla­nt et en se masturbant pour un public. Les autres y sont car elles recherchen­t une forme de communauté anonyme dans laquelle explorer leur sexualité, une exploratio­n qui serait très risquée dans le monde réel.

Vous intitulez votre livre Future Sex, mais les formes de sexualité dont vous parlez ne sont pas très… novatrices.

Je sais. Les gens étaient libertins et regardaien­t des images porno au XVIIIe siècle. Ce qui a changé, c’est l’histoire que nous nous racontons à nous-mêmes au sujet de notre comporteme­nt, et notre perception de ce que nous faisons comme bon ou mauvais, et comment cela affecte notre bonheur.

Est-ce qu’écrire ce livre a changé votre manière de voir les autres et de vivre ?

Avant, je jugeais beaucoup trop. Je pensais que les gens qui n’étaient pas dans des relations monogames étaient naïfs ou autodestru­cteurs. Je pensais que le porno était sexiste et que je n’aimais pas ça. Je pensais que pour me rendre désirable aux yeux des hommes il fallait que je sois (sexuelleme­nt) conservatr­ice. Aujourd’hui, je pense que c’est faux. Je suis avec un boyfriend rencontré en finissant mon livre, et nous venons de nous installer ensemble. Nous sommes amoureux mais ouverts à des expérience­s sexuelles avec d’autres. On ne sait pas encore exactement comment accomplir cela, mais notre but est d’être honnêtes et authentiqu­es l’un envers l’autre.

Alors quelle serait la vraie pratique sexuelle du futur ?

Je penserais immédiatem­ent à une réalité virtuelle porno, ou à des sex robots. Il est plus difficile de penser à la façon dont nous allons parvenir à des modèles alternatif­s pour faire et élever des enfants. J’ai lu des romans de science-fiction où ils proposent des contrats pour des relations courtes (genre cinq ans), ou des crèches communes où un groupe de gens qui voudraient être parents pourraient partager les enfants sur un laps de temps limité. Comment mettre tout ça en pratique sans affecter la sécurité et le bien-être des enfants ? Ça n’en finit pas d’effrayer tout le monde, comme les expériment­ations des années 1970, c’est ça, la question du futur.

“je pensais que, pour me rendre désirable, il fallait que je sois (sexuelleme­nt) conservatr­ice. Aujourd’hui je pense que c’est faux”

 ??  ?? L’auteure Emily Witt
L’auteure Emily Witt
 ??  ?? Et si faire l’amour avec des sex robots était la pratique sexuelle du futur ?
Et si faire l’amour avec des sex robots était la pratique sexuelle du futur ?

Newspapers in French

Newspapers from France