Les Inrockuptibles

de Fear Factor à la Maison Blanche

Personnage détesté issu de la téléréalit­é, entre autres The Apprentice de Donald Trump, Omarosa Manigault occupe aujourd’hui un poste important dans l’équipe du Président. Retour sur un de ces improbable­s parcours dont l’Amérique a le secret.

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Un mall de la banlieue chic de Washington, début février. Omarosa Manigault choisit une robe pour son prochain mariage, entourée d’un groupe de cinq demoiselle­s d’honneur. Elle devrait tirer profit de l’événement : les préparatif­s sont scénarisés pour un programme sur TLC, Say Yes to the Dress. Au rayon maquillage, elle est prise à partie par deux clientes, qui la traitent de “pute de Trump”. “Ces deux boudins n’arrêtent pas de me suivre”, se plaint Omarosa aux vigiles. L’incident s’arrête là et passera inaperçu dans le cycle des news US. C’est le genre d’info qu’on ne sait pas trop où caser. Rubrique divertisse­ment, celle où Omarosa a longtemps été cantonnée ? Ou rubrique politique, en sa qualité de membre du cabinet Trump ?

En 2005, Omarosa (le public américain la connaît juste par son prénom) buvait du jus d’asticots pour une épreuve de Fear Factor. Aujourd’hui, elle remplace Trump pour un voyage diplomatiq­ue. Trois jours après l’embrouille du centre commercial, elle représente la Maison Blanche lors de l’investitur­e du nouveau président haïtien, Jovenel Moïse, le 7 février. Le tout premier déplacemen­t à l’étranger d’une délégation Trump.

“Ce fut un choc, a réagi James Brewster, ambassadeu­r des EtatsUnis en République dominicain­e sous Obama. Pour une investitur­e de chef d’Etat, on envoie normalemen­t des gens de première importance pour marquer le coup.” C’est ce qu’est devenue Omarosa : un personnage de première importance. Pour représente­r ou exercer le pouvoir

aujourd’hui, la vassalité à Trump paie davantage que l’expérience politique.

C’est Trump qui a lancé sa carrière, en même temps qu’il a relancé la sienne. En 2004, l’inconnue est sélectionn­ée pour participer à The Apprentice, nouveau show produit par Trump, où les candidats se battent pour un emploi dans son empire immobilier. A l’écran, Omarosa brille par ses propos de garce et son absence de scrupules. Trump la vire (“You’re fired!”) à l’épisode 9.

Mais Omarosa marque le public alors que le nom du gagnant tombe dans les abysses. Trump ne pouvait qu’apprécier le personnage. Une bad bitch qui cristallis­e la haine du téléspecta­teur. Elle devient la femme qu’on adore détester et accède au statut de célébrité de seconde zone : celui qui permet de participer à d’autres émissions de téléréalit­é.

Sa carrière compte, entre autres, trois Apprentice, deux Fear Factor, des pubs pour du shampooing ou de la margarine. Et un show présenté avec Trump en 2011, The Ultimate Merger, mix de The Apprentice et The Bacheloret­te. Le pitch : douze hommes sélectionn­és par “le milliardai­re et roi de l’immobilier Donald Trump” doivent conquérir la liasse de billets de banque qui sert de coeur à Omarosa.

Opportunis­te, elle rallie Trump à la dernière minute. En novembre 2014, elle twittait : “Je suis prête pour Hillary. Et vous ? #Hillary201­6.” Elle supportait aussi Obama, la némésis de Trump. C’est en juillet, quand il peinait à recruter des soutiens, qu’elle rejoint Trump et son équipe ; un de ces engagement­s qui faisaient rire.

Durant quelques mois, Omarosa improvise un rôle de porte-flingue et l’interprète exactement comme dans une émission de téléréalit­é. Hyperagres­sive, disant tout et son contraire – comme le patron. Aux Républicai­ns pas chauds pour soutenir Trump, elle prévient qu’il “conserve une liste de ses ennemis”. Sa plus célèbre tirade, celle qui fait aujourd’hui froid dans le dos, elle la réserve aux caméras de PBS deux mois avant le vote. “Tous les gens qui l’ont critiqué, tous les détracteur­s devront se prosterner devant le président Trump. (…) Ce sera sa revanche ultime de devenir l’homme le plus puissant de l’univers.”

Le CV d’Omarosa comporte des surprises, certaines tragiques. Elle grandit à Youngstown, une ville mal famée de l’Ohio, où son frère Thomas est tué lors d’une fusillade. Elle a aussi fréquenté l’acteur Michael Clarke Duncan (le gentil géant dans La Ligne verte). Deux ans après leur rencontre au rayon surgelés d’un supermarch­é, l’acteur meurt d’un arrêt du coeur.

Autre originalit­é : Omarosa a travaillé à la Maison Blanche dans sa jeunesse. C’est une des rares de l’administra­tion Trump à pouvoir s’en vanter. Pour le viceprésid­ent Al Gore, dans les années 1990, elle fut une petite main préposée au planning – elle a été changée quatre fois de service à cause de ses rapports difficiles avec ses collègues. Ce passage à la Maison Blanche est indissocia­ble du personnage qu’elle construit dès sa première apparition à la télé.

“Je suis passée des cités à la Maison Blanche. C’est pas le succès, ça ? On ne s’assied pas à la même table que le Président si l’on n’est pas dans la réussite, encore et toujours”, dit-elle dans The Apprentice en 2004. Aujourd’hui, Omarosa est de retour à Washington, mais n’est plus une petite main.

On la craint parce qu’elle connaît le patron depuis longtemps et, dans le panier de crabes du 1600 Pennsylvan­ia Avenue, c’est un totem d’invincibil­ité. “Personne n’irait chercher des noises à Omarosa, a confié à Politico, sous anonymat, un membre de l’équipe de transition. Elle a une relation préexistan­te avec le Président. Ça implique des privilèges.”

TV Guide Magazine, un hebdo de supermarch­é, la classe parmi les “60 personnage­s de télé les plus méchants de tous les temps” aux côtés de J. R. Ewing et du monsieur Burns des Simpson. Pratiqueme­nt que des personnage­s de fiction. Le seul autre personnage de ce classement à avoir une fiche d’état civil est Gordon Ramsay, le chef de Cauchemar en cuisine.

Omarosa est un aimant négatif dans l’opinion américaine, aux frontières de la réalité et de la fiction, et Trump en a fait une arme. L’intitulé de son poste actuel est inédit, vague. On peut le traduire par “conseillèr­e en communicat­ion”. Durant la campagne, elle était responsabl­e du black outreach : réduire le déficit d’image abyssal de Trump chez les Afro-Américains, que Trump ne fait pourtant que creuser. Détestée par sa communauté, Omarosa roule pour elle-même. Elle assume son rôle de faire-valoir et exploite ce nouveau tremplin offert par Trump vers la richesse et la célébrité. Maxime Robin

“tous les gens qui l’ont critiqué, tous les détracteur­s devront se prosterner devant le président Trump” Omarosa Manigault pendant la campagne présidenti­elle

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Le 23 janvier, lors de la première conférence de presse quotidienn­e à la Maison Blanche

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