Les Inrockuptibles

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Le protégé de Booba, Benash, débarque en chef de gang avec un premier album solo puissant, CDG.

- album CDG (92i/Capitol Music), sortie le 31 mars par David Doucet photo Sophie Carrère pour Les Inrockupti­bles

L’histoire retiendra peut-être son nom comme celui du rappeur à l’origine du plus gros succès de Booba. Avec Validée – tube zouk racontant une rupture sentimenta­le sur fond de trafic de drogues –, “Benash” a percé sans s’y être vraiment préparé. “J’avais kiffé le titre original Ignanafi Debena de Sidiki Diabaté et j’ai proposé à Kopp (surnom de Booba – ndlr) d’en faire un remix, raconte-t-il. Au début, on a fait ça pour le délire mais le morceau a fuité et son succès nous a complèteme­nt dépassés”. Boycottés par la FM pour leurs couplets hardcore, Booba et Benash parviennen­t avec ce titre à toucher un nouveau public. “J’suis passé sur NRJ, j’suis sous le choc”, se gaussera le “Duc de Boulogne” sur l’un de ses titres.

Le succès intersidér­al de Validée (plus de cinquante millions de vues sur YouTube !) fait aussi vaciller la vie de son jeune protégé. Entre le square de Boulogne-Billancour­t et ChâtenayMa­labry où il habite, ses anciens potes commencent à l’envier. “Pourquoi lui et pas moi ?”, devient une ritournell­e. Il quitte 40 000 Gang (ex-SDHS), groupe de rap fondé avec ses amis d’enfance. “Cette soudaine notoriété a créé des dissension­s, donc j’ai préféré tracer ma route en solo”, justifie-t-il, laconique. Critiqué autant pour être le poulain de Booba que pour sa propension à chercher la bagarre (son passage à tabac filmé à l’iPhone du rappeur Sultan a fait le tour du web), Benash sait que le public ne lui fera pas de cadeaux. “J’ai reçu beaucoup de critiques, j’essaie d’en tirer les leçons en me concentran­t sur ma musique”, assure-t-il.

Loin des clichés résumés dans le titre de l’album ( CDG, pour “Chef de gang”) qui lui collent aux biceps, Benash montre qu’il est aussi à l’aise sur des titres de rap hardcore ou conscients, sur des instrus afro ou club. Gorgé d’une sombre mélancolie, le rappeur parvient surtout à raconter la face sombre du ghetto qu’il a connu : du Cameroun à Boulogne. Né en 1994 à Douala, Benash (Simon de son véritable prénom) a débarqué en France à l’âge de 6 ans avec sa mère, ses quatre frères et sa soeur.

Loin de son père resté au bled, Benash ne tient pas en place à l’école. “Durant longtemps, je n’ai pensé qu’à me battre, raconte-t-il sans vraiment l’expliquer. Je cherchais moi-même les embrouille­s, j’avais envie de me taper”. Connu pour son gimmick (“Fight, fight”) qu’il aime ânonner sur ses couplets, Benash donne dans sa musique les clés pour comprendre sa conflictua­lité. Dans le titre Ailleurs qui introduit son album, il s’épanche sur “la haine et la rage (d’un détenu)” qui transpire de ses textes.

Derrière sa casquette et sa barbe drue, Benash ne se cache d’ailleurs pas pour pleurer. Dans Larmes, dévoilé l’année dernière, il revenait sur son enfance au Cameroun. “A 8 ans, je possédais déjà une lash-ka, dis-moi comment survivre à ça ?”, s’interrogea­it-il à haute voix. Aujourd’hui, quand on l’interroge sur cette période, les mots sortent plus lentement. Originaire des quartiers de Kotto et Bonamoussa­di, il a été témoin de scènes de justice populaire d’une extrême violence. “Quand je repense à mon enfance, des images gore me viennent en tête. J’ai vu des mecs se faire brûler devant moi à l’essence pour un simple vol. D’autres se faire couper des bras avec des machettes. C’est ce qui se passait dans mon quartier.”

Dans sa ville de Boulogne réputée pour être l’une des capitales du rap français (avec Les Sages Poètes De La Rue, Lunatic…), la musique s’est imposée à lui comme un exutoire. En bas des tours de “Boulbi”, il croise de prestigieu­x aînés (Mala, LIM ou Booba) dont il écoute en boucle les albums. Ado, il franchit le pas à son tour. “Des amis m’ont entraîné dans un studio et lorsque j’ai commencé à poser derrière un micro, j’ai su que j’avais envie de continuer.”

Aujourd’hui, la musique semble avoir permis à Benash d’extérioris­er ses vieux démons : “Avec mon rap, j’essaie de raconter ce que j’ai pu vivre”. Booba qui l’a signé au sein de son label 92i est persuadé de son potentiel. “Il est avec moi comme un grand frère, confie Benash. Je sens qu’il est dans la transmissi­on et qu’il a envie que je réussisse.” Avant de pouvoir le rejoindre un jour à Miami ? “J’ai pas encore assez d’argent pour partir, mais je rêve de changer de pays. Loin du ghetto…”

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