Les Inrockuptibles

Orpheline d’Arnaud des Pallières

Un trajet de jeune femme conté à rebours, avec une constellat­ion d’actrices pour l’incarner. Un film à dispositif un peu inutilemen­t compliqué. ne permet pas de trancher nettement cette ambiguïté

-

Ce n’est pas spoiler que d’avertir que les quatre actrices principale­s jouent un même personnage à différente­s étapes de sa vie. On le précise car cela n’a rien d’évident à la vision du film et pourrait entraîner une lecture erronée et des questions qui n’auraient pas lieu d’être (“Mais quel est donc le lien entre ces filles ? – Mais c’est la même, teubé !”). On peut d’ailleurs se demander si Arnaud des Pallières, cinéaste hyper conscient de ses gestes et de la nature de son art, n’a pas laissé ce point dans le flou pour mieux égarer son spectateur et ouvrir son film à la possibilit­é de diverses réinterpré­tations.

Orpheline, c’est l’histoire de Renée, la trentaine, qui change donc d’apparence et de prénom selon les divers moments de sa jeune existence, déroulés à l’écran dans un ordre d’apparition à rebours de la vie : femme en couple et rangée, jeune fille en quête de démarrage de sa vie et faisant des mauvaises rencontres, ado fugueuse et sexuelleme­nt précoce, gamine témoin d’un drame. Cette “orpheline” trace donc un parcours de femme en conquête de sa liberté mais se heurtant aux murs du réel dans un monde dominé par le patriarcat et le machisme (père brutal, amants bad boys, figures de parrain au sens mafieux du terme…). Comme chez Lars von Trier, ces péripéties de femina dolorosa ouvrent à une double lecture : de l’art féministe ou des fantasmes masculins ? – des Pallières étant du côté de son héroïne jusqu’au bout mais prenant manifestem­ent un certain plaisir filmique à placer son personnage dans des situations de maltraitan­ce.

Orpheline

(c’est à son crédit, une oeuvre n’est pas faite que de bons sentiments), pas plus que l’épineuse question du statut de des Pallières. Comme dans tous ses films, on trouve ici une ambition esthétique évidente, une tension de chaque scène, du talent (le chef op, le casting de ses magnifique­s actrices) mais aussi une certaine froideur, un déficit d’empathie – ça devrait être bouleversa­nt et ça ne l’est pas.

Le lieu exact du désir de cinéma de des Pallières demeure énigmatiqu­e. Avec ses quatre comédienne­s pour un même rôle et sa chronologi­e inversée, Orpheline paraît artificiel­lement alambiqué, comme si les expériment­ations formelles et narratives importaien­t plus que les personnage­s, aboutissan­t à un très bel objet qui échoue à toucher en profondeur. Serge Kaganski

Orpheline d’Arnaud des Pallières, avec Adèle Haenel, Adèle Exarchopou­los, Solène Rigot, Vega Cuzytek (Fr., 2017, 1 h 51)

 ??  ?? Adèle Haenel
Adèle Haenel

Newspapers in French

Newspapers from France