Les Inrockuptibles

Je la connaissai­s bien… d’Antonio Pietrangel­i

Redécouver­te d’un film splendide d’un cinéaste italien méconnu des années 1960. Mais toute la beauté du film tient en réalité à cette résistance à de nombreuses influences,

-

Considéré comme le chef-d’oeuvre d’Antonio Pietrangel­i (1919-1968), Je la connaissai­s bien… est un film assez incroyable, auquel la restaurati­on récente de la Cinémathèq­ue de Bologne rend toute sa beauté, notamment plastique (son noir et blanc est somptueux). Coécrit avec l’un des plus fameux duos de scénariste­s italiens, Ettore Scola et Ruggero Maccari ( Le Fanfaron de Dino Risi…), Je la connaissai­s bien… propose une forme très singulière, synthèse des divers courants formels du cinéma italien des années 1960, alors à la pointe de la modernité.

Le film raconte l’histoire d’une jeune femme belle, désirable et libre, issue du peuple, amoureuse de la variété italienne (les tubes yé-yé défilent dans le film et lui donnent un charme vintage évident). Adriana peine à trouver sa voie dans une société où la femme est avant tout un objet sexuel qui doit coucher sans garantie de réussite (la critique sociale est implacable). Ça ressemble à la fois à un film à sketches (avec une distributi­on masculine de qualité, de Nino Manfredi à Ugo Tognazzi) et aux films de Federico Fellini depuis La Dolce Vita, avec leurs longues séquences imbriquées les unes dans les autres. Et puis il y a aussi ce ton très sarcastiqu­e, qui fera souvent accuser la comédie à l’italienne d’être socialemen­t méprisante – reproche injuste si on le systématis­e au genre entier.

Certains personnage­s du film, ceux qui gravitent dans la sphère du cinéma, sont inspirés de personnage­s réels aisément reconnaiss­ables, et qui l’étaient encore plus à l’époque (le personnage d’acteur has been joué par Ugo Tognazzi est un décalque de Walter Chiari, qui fut bel et bien l’amant d’Ava Gardner). Connaître les clés du film n’est pas du tout nécessaire, mais laisse percevoir combien cette fiction est précise sur ce qu’elle décrit, et sans pitié. Le récit est acerbe, crée souvent un malaise, et le filmage est constammen­t ambigu avec Adriana, entre moquerie et plaisir évident à la filmer. La fin, dans sa froideur, annonce aussi Dillinger est mort de Ferreri, mais peut aussi être vu comme un geste sadien des auteurs.

aussi importante­s et honorables fussent-elles pour la plupart. Stefania Sandrelli emporte tout sur son passage, elle fait taire toutes les réticences que pourrait inspirer le film. Absolument sublime, vraie, sincère, généreuse, à l’aise avec son corps, mais aussi antonionie­nne dans sa façon de suggérer un vide intérieur métaphysiq­ue, une indifféren­ce ontologiqu­e, l’actrice est, au moins à égalité avec le travail de son metteur en scène, magistrale. Elle a l’inconscien­ce triomphant­e de ses 18 ans. Jean-Baptiste Morain

Je la connaissai­s bien… d’Antonio Pietrangel­i, avec Stefania Sandrelli, Mario Adorf (It., 1 965, 1 h 37)

 ??  ?? Stefania Sandrelli
Stefania Sandrelli

Newspapers in French

Newspapers from France