Les Inrockuptibles

Teenage blues

Très attendue, la série Netflix 13 Reasons Why aborde la brutale expérience adolescent­e avec patience et délicatess­e. au-delà du suspense, l’enjeu majeur de 13 Reasons Why est celui du point de vue

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Les bonnes histoires adolescent­es nous passionner­ont toujours, sûrement parce qu’elles cumulent une fraîcheur émouvante et souvent turbulente avec une manière acérée de croquer l’époque dont elles se font l’écho. Tirée d’un roman pour jeunes adultes écrit par Jay Asher il y a une décennie, produite notamment par Selena Gomez avec l’oscarisé Tom McCarthy (Spotlight) à la réalisatio­n des deux premiers épisodes, 13 Reasons Why s’avance dans cette tradition riche avec une forme d’assurance inédite, une pleine certitude de ses effets.

L’histoire centrale (adaptée dans la forme par les scénariste­s Diana Son et Brian Yorkey pour coller à 2017, mais peu transformé­e dans le fond) est celle d’un deuil collectif. Une jeune lycéenne, Hannah Baker, s’est suicidée pour une raison encore inconnue quand la fiction s’enclenche. Elle a laissé derrière elle des parents et des amis dévastés, et pour seul testament treize cassettes audio qu’un jeune homme au regard inquiet, Clay Jensen, a récupérées. C’est un héros plutôt atypique dans ce type de récit : un garçon très doux, ni trop mal à l’aise ni imbu de lui-même, simplement occupé à avancer dans la jungle des hormones et des rivalités de son âge. Chaque cassette évoque une personne censée être en lien avec la mort de la jeune femme. Un genre d’énigme impossible à déchiffrer sans s’y plonger complèteme­nt, treize clés d’un mystère plus grand que la vie d’une seule personne.

13 Reasons Why joue avec une certaine habileté de son énigme centrale – pourquoi cette jeune femme est-elle morte ? –, rejoignant la cohorte des séries (teen ou non) qui étirent les résolution­s à l’extrême et s’amusent à égarer le spectateur dans les méandres d’une affaire qui se complique au fur et à mesure qu’avancent les heures. On peut éventuelle­ment s’en lasser, trouver qu’un sujet à la gravité si évidente devrait éviter tout suspense. Ce serait dommage, car la série oublie en fait assez vite les habituelle­s astuces de scénario destinées à étaler une histoire pour s’ouvrir à une réalité plus ample. Au-delà du suspense, l’enjeu majeur de 13 Reasons Why est celui du point de vue. La série réussit à faire vivre celui de la jeune femme morte à travers des flash-backs aussi bien entrelacés au récit présent que dans This Is Us, mais le jeune homme qui a reçu les cassettes est lui

aussi, d’une certaine façon, le personnage principal. D’autres garçons et filles, toujours plus nombreux, occupent l’espace à un moment ou un autre et parviennen­t à exister. Les séries sont aussi faites pour laisser s’exprimer une multiplici­té. Le résultat de cet éclatement du point

du vue est assez limpide. Comme dans l’excellente American Crime, à laquelle on pense souvent, 13 Reasons Why dresse le portrait d’une communauté, au sens politique et social du terme. Le portrait d’une certaine Amérique, dont la jeunesse est déjà gangrenée par les secrets familiaux, les abus de pouvoir, le sexisme, la culture du viol et l’humiliatio­n des supposés faibles, se dessine ici.

Si le genre de la fiction ado a souvent été réflexif (et cette série consciente d’arriver après beaucoup d’autres contient son lot de références méta), il n’a peut-être jamais été aussi concerné par ses responsabi­lités et sa capacité à éclairer ce qui est souvent dissimulé pour que l’ordre social demeure. Sans jouer la carte moralisatr­ice qui lui tend pourtant les bras, 13 Reasons Why parvient à tresser une histoire captivante en prenant à bras le corps la défense des victimes. Une manière de voir le monde chaque jour plus pertinente. Olivier Joyard

13 Reasons Why saison 1 A partir du vendredi 31 mars sur Netflix

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