Les Inrockuptibles

Les malheurs d’Albin

Autour d’un piano mélancoliq­ue et d’une luxuriance d’arrangemen­ts, Albin de la Simone livre un cinquième album qui fend le coeur.

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Il y a cinq ans, Albin de la Simone a failli mourir. Une péricardit­e myocardite, heureuseme­nt soignée, a effacé un temps le sourire d’un chanteur et musicien connu par ailleurs pour ses élans de boute-entrain au sein d’une scène française où on le retrouve à tous les points cardinaux. D’Alain Souchon à Miossec, de Jeanne Cherhal à Vanessa Paradis, son carnet de commandes d’arrangeur et réalisateu­r n’a jamais désempli depuis quinze ans, et son élasticité de Zelig des claviers associée à sa bonne nature s’embarrassa­ient rarement des orages. L’alerte cardiaque, hormis parce qu’elle nous fit battre notre coeur à nous comme jamais, n’avait pas eu d’incidence directe sur les chansons de l’album précédent, Un homme, trop tôt jailli de terre après le pépin. Avec un recul empli de ce tact littéraire et musical qui le caractéris­e, Albin livre désormais en filigrane sur L’Un de nous ses impression­s craintives sur les moments de bascule qui font que de l’homme à la poussière, il suffit parfois de presque rien.

Sans un gramme de plomb, avec cette aisance ailée des pudiques contrariés, il égrène en douze chansons un inventaire des amours qui flanchent, de l’homme face à la mort (La Fleur de l’âge) ou de retour à la vie (A quoi), des enfants disparus (Les Chiens sans langue) ou jamais apparus (Ma barbe pousse), emballant cette matière fragile d’une musique-papier de soie belle à mourir. Lui qui avoue écrire des carnets entiers pour ne conserver qu’une page digne d’être vue n’éprouve en revanche plus aucune souffrance quant aux embellisse­ments à apporter une fois que les mots ont pris leur pli.

“Je suis devenu chanteur à 30 ans, après des années de musique instrument­ale, et écrire a agi comme une libération. Mais après cinq albums, je suis de plus en plus exigeant sur ce que je veux raconter, alors que la musique reste un geste naturel chez moi.”

Pour renouveler un peu le geste en question, Albin a choisi cette fois de partir du coeur, voix et piano enregistré­s en deux jours, pour ensuite construire les arrangemen­ts autour de cet organe palpitant. “Pour moi, ça équivaut à remettre l’église au milieu du village. Les limitation­s de ma voix, j’essaie de plus en plus d’en faire une force. Il y a moins de rebonds et de variations que sur mes disques précédents, et le piano dominant accentue l’humeur mélancoliq­ue, mais cette ligne directrice plus étroite me convient parfaiteme­nt.”

Suivant la même évolution que les Boogaerts et Delerm, voisins de label et amis de toujours, Albin parvient à travers ces figures imposées à étendre encore plus majestueus­ement son style, à l’affermir en tirant de ce faux minimalism­e une luxuriance d’émotions et de teintes sonores. Le cousinage avec les derniers Delerm semble d’autant plus évident qu’il est revendiqué par Albin : “Je me suis pris la tête pendant des années autour du son du piano, pour finalement me rendre compte que j’avais reproduit le son de son avant-dernier album. Je sais que j’ai pu l’influencer par ailleurs, on est si proches que ce serait idiot d’être étanches l’un à l’autre.” S’ils nous donnaient à choisir “l’un de nous”, on prendrait sans hésiter les deux. Christophe Conte

album L’Un de nous (Tôt ou tard) concerts les 3 avril, 3 mai et 3 juin à Paris (Européen), le 4 avril à Rennes, le 22 au Printemps de Bourges, les 11, 12, 13 et 15 décembre à Paris (Café de la Danse)

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