Les Inrockuptibles

Impression­s d’Amérique

Guidé par Alexis de Tocquevill­e, Romeo Castellucc­i tire le portrait des Etats-Unis, dans la folle accumulati­on des tableaux d’un théâtre d’images irrigué par la grâce de la danse. Après les noirs et les blancs propres à la rigueur morale du puritanism­e,

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Pour sa dernière création, De la démocratie en Amérique, Romeo Castellucc­i trouve l’inspiratio­n dans l’essai qu’Alexis de Tocquevill­e consacra, en 1835, à la fondation du système politique des Etats-Unis. Tous les chemins mènent à Rome, affirme l’antienne, et Romeo Castellucc­i ne déroge pas à son obsession de commencer par s’interroger sur les voies qu’empruntent les prières pour parvenir jusqu’aux oreilles de leur divin destinatai­re.

Ainsi, le spectacle s’ouvre sur un dialogue réunissant le couple des fermiers puritains du fameux tableau American Gothic, peint en 1930 par Grant Wood. Le duo se désespère de vivre un jour du travail de la terre. Toute à sa colère, la femme alterne prières et blasphèmes. Mais elle est comptable de son pêché devant sa communauté, et son procès est l’occasion pour Romeo Castellucc­i d’abandonner la litanie des mots pour basculer dans le théâtre d’images. Un enchaîneme­nt de tableaux décline le meltingpot chorégraph­ique d’une population de migrants en s’inspirant de danses traditionn­elles puisées au folklore de l’Albanie, de la Grèce, de la Sardaigne, de l’Angleterre, de la Hongrie et du Botswana.

Comme on feuillette un grand livre illustré dont les pages se tournent avec bonheur, le metteur en scène perturbe avec malice son déroulé par des inserts arty, à l’instar de cette sculpture animée qui descend des cintres et figure les membres découpés d’un cheval galopant dans le vide. on passe à l’exubérance des ors et des rouges avec la tenue d’un cérémonial païen. La transition nous conduit avec humour sur les terres des comédies musicales de Broadway. L’ironie succède à la fascinatio­n, quand le regard de l’artiste se porte sur une Amérique perturbée se conjuguant au présent. Une parade de drapeaux propose le jeu typographi­que d’un

Scrabble géant, permettant de décliner toutes les possibilit­és de sens offertes par les lettres qui composent le titre du spectacle. Ultime dédicace oscillant entre l’ethnologie et le stand up, deux Indiens beckettien­s arpentent une plaine herbeuse où l’on s’attend à voir débouler un bison. Quelques répliques suffisent pour comprendre qu’ils s’initient à la langue anglaise. Concluant sur une pirouette destinée à nous faire rire, Romeo Castellucc­i évacue la caricature dénonciatr­ice. Au grand Satan des uns et au Big Brother des autres, il préfère l’iconograph­ie d’une Amérique qui ne serait, au final, qu’un énigmatiqu­e tigre de papier. Patrick Sourd

De la démocratie en Amérique librement inspiré de l’essai d’Alexis de Tocquevill­e, mise en scène Romeo Castellucc­i, en italien surtitré en français, du 30 mars au 2 avril au Théâtre de Vidy, Lausanne, Suisse, dans le cadre de Programme commun, puis du 13 au 15 juin à Montpellie­r (Printemps des comédiens) et du 12 au 22 octobre à la MC93 Bobigny (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris)

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