Les Inrockuptibles

La bataille des trolls

C’est sur les forums 4chan et Reddit qu’a éclaté l’an dernier la grande guerre des mèmes. Un conflit du web dont nous connaisson­s aujourd’hui le résultat : la victoire de Donald Trump, le plus grand troll de tous les temps. Et si la France était la nouvel

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Les livres d’histoire consacrero­ntils un chapitre à la Great Meme War ? Guerre mondiale de la culture web, elle s’est produite sur la toile au cours de la présidenti­elle américaine. Lorsque, le 16 juin 2015, Donald Trump annonce sa candidatur­e aux primaires républicai­nes, les centaines d’utilisateu­rs des sulfureux forums 4chan et Reddit s’attribuent une mission : renverser l’opinion publique à coups de mèmes (des montages visuels viraux imprégnés de références pop). Propulser le milliardai­re vers la Maison Blanche, c’est attribuer les pleins pouvoirs à un “troll” hystérique et conspué, qualifié de “clown” par le Daily News. Leur base militaire ? Les souscatégo­ries “Pol” (politiquem­ent incorrect) et “The Donald” de 4chan. Leur lieu de bataille ? Les réseaux sociaux. Et tant mieux si leurs actes dépassent le cadre du “lulz”, ce par quoi les usagers de 4chan définissen­t leur déconne provocatri­ce. Telle la métamorpho­se de Pepe, bête grenouille pacifiste de bande dessinée, en emblème haineux de l’alt-right, cette fachosphèr­e US où le nationalis­me le plus exacerbé se conjugue à l’homophobie et à l’antisémiti­sme. Ou encore la mise en branle, en novembre 2016, du “pizzagate”, une fiction qui voulait qu’une célèbre pizzeria de New York abrite un réseau pédophile organisé autour d’Hillary Clinton. Les “soldats” de 4chan et Reddit font de leurs théories complotist­es une arme pour effriter, mois après mois, la campagne de la rivale démocrate. Jusqu’à lui attribuer une maladie de Parkinson évidemment fictive.

L’Encycloped­ia Dramatica (version satirique de Wikipédia dédiée au net “subversif”) présente cette guerre des nerds comme un compte rendu de la bataille de Verdun. D’un côté, le camp de Trump. De l’autre, celui d’Hillary Clinton. Les geeks au service du camp républicai­n sont qualifiés de “shitposter­s” (le pire

des commentate­urs), épinglant les “butthurt feminists” (féministes contrariée­s), les socialiste­s, l’islam ou bien encore les “normies” (les “normaux”, comprendre l’inverse des antisociau­x de 4chan). Drôle de guerre que mènent ces fans de Nigel Farage, puisqu’elle ne cause nulle perte, si ce n’est “beaucoup de temps”. Avec, en sus, la certitude de pouvoir dévier le cours des événements politiques grâce à la “magie des mèmes”.

“Clinton a été écrasée par des foutus mèmes. Répétons : une vieille femme puissante et corrompue qui possédait non seulement l’argent, mais également le pouvoir, les alliés, l’influence médiatique et l’approbatio­n des célébrités a perdu à cause d’idiots anonymes qui ont posté tout un tas de dessins stupides sur internet”, lit-on sur l’encyclopéd­ie du politiquem­ent incorrect. Aussitôt, du côté de Trump, un internaute déclare achevée la première phase de la grande guerre : “la ‘meme war’ a éclaté entre les communauté­s de Reddit/4chan, les médias mainstream et les social justice warriors (les guerriers de la justice sociale, les bien-pensants – ndllr) (…) et nous continuero­ns de lutter contre la propagande mondialist­e avec nos propres ‘mèmes de propagande’, afin de percer à jour la corruption gouverneme­ntale, où qu’elle soit.” Mais les trolls sont-ils encore des idiots anonymes ? Aujourd’hui, ces vétérans squattent les hautes sphères.

A les lire, Donald Trump est un “général”, Alex Jones un “commandant” et Milo Yiannopoul­os un “colonel”. Informateu­r en chef du Président, le premier propage des fake news sur son site Infowars. Quant au second, figure de proue de l’alt-right, il a fait ses armes sur le site d’extrême droite Breitbart News – accusé d’incitation à la pédophilie, il a démissionn­é fin février et affirme depuis novembre travailler à la constituti­on d’une “vaste armée de mèmes pro-Trump”. Directeur de Breitbart, nommé au Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, le tout aussi controvers­é Stephen Bannon soutient les troupes, comme l’affirme, sur Politico, un proche de son entourage : “Quand Bannon dit que Breitbart est une plate-forme pour l’alt-right, il ne parle pas de Richard Spencer (suprémacis­te blanc à l’origine de l’expression “Alternativ­e Right” – ndlr) mais des trolls de Reddit et de 4chan.” Créateur du site de désinforma­tion GotNews.com, le blogueur Charles Johnson a participé à la Great Meme War. “Cette élection a été remportée par les gars qui créaient des mèmes. Nous avons ‘mémisé’ ce Président à vie”, se félicite-t-il lors d’une interview à Forbes.

Sur YouTube, le dessin animé patriotiqu­e The Great Meme Year of 2016 dépasse les 300 000 vues. Y figurent les bras droits de la bande à Trump, détournés en héros de film de guerre. Leur leader ? Surprise : Alex Jones. Les commentate­urs s’en donnent à coeur joie : “Le Pen est la suivante mes amis : nous allons rendre à la France sa grandeur (make France great again) en la guérissant du cancer islamique.” Un autre prédit “la destructio­n de l’Union européenne et le règne d’un nouvel empire post-UE”.

Interrogé par Politico, le suprémacis­te Andrew Auernheime­r, ancien de cette guerre du net, affirme “rassembler toute une équipe de trolls en France, puis en Allemagne, pour recommence­r à semer la zizanie”. De quoi conférer à cette bataille d’internaute­s des allures de Jour le plus long version cyber. Clément Arbrun

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La gentille grenouille pacifiste Pepe, victime collatéral­e de la guerre des mèmes menée par les fachos US

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