Les Inrockuptibles

Sophia Chikirou, l’insoumise

Fini le temps du “bruit et de la fureur”. Directrice de la communicat­ion de Jean-Luc Mélenchon, Sophia Chikirou a rajeuni l’image du candidat de la France insoumise. Portrait d’une spindoctor aux mille vies qui l’ont notamment menée auprès de Podemos et d

- par Amélie Quentel

directrice de la communicat­ion, elle a rajeuni l’image de Jean-Luc Mélenchon. Portrait d’une spin-doctor aux mille vies

Ne lui parlez plus jamais de quinoa (sauf si vous aimez vous faire rabrouer). Non pas que Sophia Chikirou, directrice de la communicat­ion de Jean-Luc Mélenchon, ait un grief personnel contre cet aliment latino-américain, très bon pour la santé et alternativ­e intéressan­te aux protéines carnées. Mais voilà, quand on l’a interrogée sur son rôle dans la modernisat­ion et l’adoucissem­ent de l’image du candidat de la France insoumise via cette fameuse vidéo de Gala, la réponse fut cinglante : “C’est n’importe quoi. C’est du storytelli­ng, des histoires que l’on raconte aux lecteurs. Parfois, je me prête au jeu, parfois non. Cela dépend de la relation que je peux avoir avec les gens.”

La nôtre n’est, semble-t-il, pas assez bonne – bon, elle a démarré une demi-heure plus tôt – alors next, on passe à d’autres questions. Auxquelles elle répondra avec attention, gentilless­e, voire une pointe de malice.

Car quand on ne lui parle pas de graines – ou de tout autre sujet qui l’agace –, Sophia Chikirou est globalemen­t très aimable. Assurée, aussi. Assise dans son bureau du QG de la France insoumise, sorte de havre de paix comparé à l’effervesce­nce caractéris­ant les lieux – tout le monde semble courir partout, des goodies JLM2017 sont emballés dans des cartons, plusieurs personnes pianotent sur leurs ordinateur­s –, elle parle avec clarté, engagement, tout en consultant parfois sa tablette ou son portable.

A bientôt 38 ans – elle en paraît facile dix de moins –, cette originaire de Haute-Savoie, née de parents kabyles, a compris l’impact et l’utilité que pouvaient avoir les réseaux sociaux, les outils digitaux, bref, le web, pour une campagne présidenti­elle. Surtout quand, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon, après “le bruit et la fureur, le tumulte et le fracas” de 2012, on souhaite, en 2017, incarner “le peuple contre l’oligarchie”, impliquer au maximum les citoyens – cf. la volonté du député européen de mettre en place une assemblée constituan­te pour réécrire la Constituti­on – et, qu’a fortiori, on risque “l’invisibili­sation (médiatique – ndlr), le dénigremen­t, et les attaques”.

Tout cela, elle a pu le constater, ou plutôt prouver cette intuition, en suivant en Espagne le parti Podemos, mais aussi en participan­t pendant quatre mois aux Etats-Unis à la campagne du socialiste Bernie Sanders – une affiche de l’Américain est

“c’est un peu un chef d’orchestre. Quelqu’un qui a un sens politique très fort, ce qui n’est pas forcément le cas de tous les communican­ts” Mathias Enthoven, collaborat­eur de Sophia Chikirou

d’ailleurs exposée dans son bureau, non loin d’un poster collector du meeting holographi­que de Jean-Luc Mélenchon produit par la boîte de communicat­ion qu’elle a fondée, et qui, début février, leur a permis “d’exister”, de ne “pas couler” et de donner un souffle nouveau à la France insoumise. Elle a beaucoup appris sur place, rendant compte à Jean-Luc Mélenchon de ce qu’elle expériment­ait, voyait, analysait. De quoi inspirer leur campagne en France mais aussi confirmer l’idée, vu la défaite de Sanders, que “jamais de la vie” il ne fallait participer à la primaire de la Belle Alliance populaire.

Mais gardez-vous de la réduire à son rôle dans le développem­ent de la stratégie de communicat­ion digitale de Jean-Luc Mélenchon – qu’elle connaît depuis dix ans et qui “s’est toujours intéressé à tous les moyens d’expression possibles”, d’où, sans doute, son appétence pour les “pouces b leus !” sur sa chaîne YouTube. “Les gens ne voient que mon travail sur le web, mais je ne fais pas que ça, haha…”

Son collaborat­eur Mathias Enthoven, qui travaille avec elle sur les outils de la campagne, ne dit pas le contraire : “C’est un peu un chef d’orchestre. Quelqu’un qui a un sens politique très fort, ce qui n’est pas forcément le cas de tous les communican­ts : à côté de leurs activités de conseil politique, certaines boîtes de communicat­ion vendent des yaourts. Pas celle de Sophia”, rappelant qu’elle a assuré, par exemple, la communicat­ion de Jérôme Kerviel dans son procès contre la Société Générale. Enthoven, qui la connaît depuis 2012 – elle gérait à l’époque les relations presse de Jean-Luc Mélenchon –, la décrit comme “à la fois bienveilla­nte, très douce, mais en même temps parfois très dure, ce qui est normal : on est là pour gagner une élection présidenti­elle”, mais regrette qu’elle soit souvent “ramenée au quinoa ou à la participat­ion de Mélenchon à l’émission Une ambition intime de Karine Le Marchand. Elle a un vrai rôle stratégiqu­e”.

Elle a eu mille vies, aussi. Elle a fait partie du PS pendant dix ans – parti qu’elle critique allègremen­t aujourd’hui, même si elle garde un profond respect pour Laurent Fabius, dont elle fut la porte-parole lors de la campagne à l’investitur­e socialiste pour la présidenti­elle de 2007 – avant d’en être exclue à la suite d’une candidatur­e dissidente. Elle aurait voulu faire les Beaux-Arts, se demandant si “elle n’a pas raté sa vie”, évoquant avec pudeur et affection son père, peintre en bâtiment et délégué syndical CGT qui voulait qu’ils “créent une entreprise ensemble”.

Elle écrit un roman depuis quelques années, a étudié à Sciences Po Grenoble et en est très fière, est partie vivre trois ans en Equateur pour faire une campagne de communicat­ion contre une société pétrolière – “il m’a fallu deux heures pour prendre ma décision”, raconte avec enthousias­me celle qui, à l’instar de Stefan Zweig, l’auteur “qui attise le plus sa curiosité”, a décidé de “placer la liberté au-dessus de tout” dans sa vie.

En interne, sa grande influence est parfois critiquée. Alexis Corbière, porte-parole de Jean-Luc Mélenchon, évoque quant à lui “une très bonne chef d’équipe, une femme pleine d’idées, intelligen­te, vive”. Qualités que lui reconnaît aussi Jean-Marie Bockel, fondateur de la Gauche moderne, formation politique qui joua le jeu de l’ouverture sarkozyste à laquelle Sophia Chikirou adhéra pendant quelque temps après son exclusion du PS : “C’est une personne charismati­que, avec de l’ambition et qui, à l’époque, aurait aimé que ses qualités soient mieux reconnues. Elle n’a pas peur des conflits et de dire ce qu’elle pense, et ça ne fait pas toujours plaisir. Moi j’appréciais son côté direct, franc… Elle a de l’humour aussi, et est capable d’un peu d’autodérisi­on… enfin, pas trop non plus, haha…” Son départ de la Gauche moderne ne l’avait pas surpris, “car elle était foncièreme­nt de gauche, idéologiqu­ement, au bout d’un moment, cela ne le faisait plus”.

Aujourd’hui, quand il la voit dans les médias, il a le sentiment qu’auprès de la France insoumise, “elle est totalement en place avec ses idées”. Idées qu’elle voit déjà gagner l’élection présidenti­elle : quand on lui demande si elle y croit, elle répond : “Je n’y crois pas, j’observe.”

Newspapers in French

Newspapers from France