Les Inrockuptibles

cinémas 11 minutes, Gold, Life…

Un récit choral qui relate 11 minutes de la vie d’un groupe de personnage­s. Formelleme­nt très abouti mais d’une dureté glaçante.

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1 1 minutes, c’est le temps de l’histoire. 1 h 21, celui du récit. Pour faire plus simple, le nouveau film de Jerzy Skolimowsk­i (Deep End, Travail au noir, Essential Killing…) raconte une suite d’événements concomitan­ts qui se déroulent sur un temps de onze minutes, observés sous différents angles et à l’aide d’images de registres divers (écrans de surveillan­ce, téléphone, plans subjectifs, etc.). Petit à petit, grâce à un montage parallèle, nous allons découvrir une flopée d’intrigues et de personnage­s dont il s’avérera progressiv­ement qu’il s’agit – à quelques exceptions près – d’une palanquée de belles ordures : un vendeur de hot-dogs ambulant, un groupe de bonnes soeurs, une actrice très sexy, un cinéaste adepte du droit de cuissage, un laveur de carreaux, un vieil artiste peintre, des employés du Samu, etc. Tous réunis sans le savoir pendant une bonne dizaine de minutes dans un quartier d’affaires ultramoder­ne.

Dans 11 minutes, tout est réglé comme du papier à musique. Skolimowsk­i est un cinéaste précis, mais cette précision, son désir de perfection formelle, semble ici atteindre des sommets de maniaqueri­e qui confinent à la dentelle, à la chorégraph­ie, ou plutôt à l’horlogerie. 11 minutes est donc un film virtuose, qui manipule vingt-cinq marionnett­es et dix actions en même temps sans que le spectateur ne se perde jamais, la langue pendante devant un tel suspense. Et qui se termine par un plan long, abstrait et hallucinan­t, digne de figurer auprès de celui du réfrigérat­eur orgasmique de Zabriskie Point d’Antonioni.

D’où vient alors que ce qui ressemble à un chef-d’oeuvre nous laisse mal à l’aise ? Sans doute du point de vue assez distancié qu’entretient le cinéaste polonais de 78 ans avec ses créatures de fiction, comme si au fond il n’éprouvait que de l’indifféren­ce ou du dédain pour elles, voire du mépris. On pense à Short Cuts de Robert Altman, qui lui aussi n’hésitait guère à jouer avec le malheur de ses personnage­s... Il est quoi qu’il en soit patent que 11 minutes ne fait rien de rien pour paraître sympathiqu­e. Il se pourrait même qu’il soit l’expression d’une misanthrop­ie achevée et assumée sans vergogne – ce qui expliquera­it pourquoi ce film, présenté en 2015 à la Mostra de Venise, ne sorte qu’aujourd’hui... Et c’est, en même temps, ce qui le sauve et fonde sa singularit­é : une beauté froide, gênante, cruelle. Jean-Baptiste Morain

11 minutes de Jerzy Skolimowsk­i, avec Richard Dormer, Andrzej Chyra, Agata Buzek (Pol., Irl., 2015, 1 h 21)

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