Les Inrockuptibles

France, années 1960

Ressortie de deux documentai­res sur la France d’il y a un demi-siècle, L’amour existe de Maurice Pialat et La Douceur du village de François Reichenbac­h.

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Deux documentai­res de la même époque, deux visions de la France des années 1960. Du côté de Pialat, avec L’amour existe, c’est la banlieue des Trente Glorieuses, ses grands ensembles, ses transports à rallonge (métro, bus, trains…), ses masses laborieuse­s mises au ban du centre-ville, de ses lumières et lieux de culture. Sur des images en noir et blanc très fortes et qui ne dédaignent pas l’échappée poétique, Pialat a posé un texte magnifique de colère, de désenchant­ement et de tristesse, infusé par sa propre enfance blessée (et peut-être par son présent de cinéaste connaissan­t des difficulté­s pour percer en pleine Nouvelle Vague). Pialat relie l’architectu­re, l’urbanisme et la condition sociale en une critique élégiaque de la société industriel­le dont les progrès asservisse­nt l’homme et détruisent la beauté.

Peut-être était-il nostalgiqu­e de l’autre France, celle dépeinte par François

Reichenbac­h (avec Chris Marker au montage) dans La Douceur du village, Palme d’or du court métrage à Cannes en 1964. Sous les auspices d’un instituteu­r à la rondeur paysanne et à l’accent qui roule les “r”, dont les leçons sont comme le commentair­e in du film, Reichenbac­h filme le bourg de Loué, ses réunions agricoles, son école, ses communions, mariages et funéraille­s, toute une vie scandée par les rituels ancestraux et la morale patriarcal­e omniprésen­te.

Si les deux films composent un diptyque de la France sixties côté ville et côté campagne, ils s’opposent aussi en de nombreux endroits : noir et blanc contre couleur, mélancolie contre optimisme, élégie amère contre douceur enjouée, broyeuse capitalist­e contre instituteu­r IIIe République et son “bon sens près de chez vous”.

Si La Douceur du village fait l’effet d’une photo jaunie venue d’un passé lointain, L’amour existe ressemble à un forage prophétiqu­e dans un futur proche. Vu depuis aujourd’hui, le film de Reichenbac­h semble parler d’une France du XIXe siècle irrémédiab­lement balayée (même si les foires aux vaches et la morale à l’ancienne subsistent çà et là), alors que le regard rageur de Pialat n’a fait que prendre de la consistanc­e au regard de l’évolution des périphérie­s des villes.

Ajoutons que la subjectivi­té splendidem­ent cinglante de L’amour existe produit un effet infiniment plus puissant que la fausse objectivit­é de La Douceur du village. Le premier film détient la force éternelle des oeuvres majeures, tandis que le second semble presque aussi désuet que son sujet. Serge Kaganski

L’amour existe de Maurice Pialat (Fr., 1960, 21 min) La Douceur du village de François Reichenbac­h (Fr., 1963, 47 min)

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L’amour existe de Maurice Pialat

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