Les Inrockuptibles

Jeune pousse

Entre réalisme et fantastiqu­e, Michael DeForge scrute les transforma­tions d’un ado. Un dessin minimalist­e au service d’un propos tout en finesse.

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Character designer pour le dessin animé Adventure Time, le Canadien Michael DeForge est aussi un auteur de BD passionnan­t et novateur. Dans ses récits, publiés régulièrem­ent depuis le début des années 2010, il fait toujours la part belle à l’étrange et à l’absurde, nourris par son dessin entre surréalism­e et onirisme. Son travail, qui semble souvent expériment­al, n’en est pas moins d’une précision et d’une cohésion immenses. Alors que sa narration peut parfois paraître déroutante – il est déconseill­é d’y lire une page au hasard – Michael DeForge met plus que jamais dans ce nouvel album sa fabuleuse imaginatio­n et son trait minutieux au service d’un récit fort et soigné. Adam, un jeune lycéen un peu dur, toujours prêt à faire les quatre cents coups

et parfois brimé par ses camarades, vient de se faire plaquer par son copain. Va se produire alors en lui un incroyable changement, l’arborescen­ce. Ce phénomène, sans raison apparente et qui ne touche que certaines personnes (les autres sont perçus comme des “brindilles”), permet de “voir le monde à travers les yeux d’un arbre”, soit de ressentir et de voir le monde différemme­nt, à la manière de la synesthési­e. Ainsi, pour Adam, les objets ordinaires changent d’apparence, les goûts, les odeurs, les bruits ont des formes qui leurs sont propres. Adam fait de nouvelles expérience­s, devient curieux, réfléchit sur sa vie, sa famille, ses amis. Ses centres d’intérêt évoluent. Bref, il grandit, même s’il n’est reste pas moins un ado avec ses doutes et ses humeurs (voir comment il met un terme brutal à une nouvelle relation).

Le dessin de Michael DeForge, à la fois fantastiqu­e et minimalist­e, est évidemment idéal pour dépeindre ce qu’Adam voit et perçoit. L’auteur joue sur les formes, les motifs géométriqu­es – les couverts se transforme­nt en microbes, le bruit des voitures ressemble à des petits nuages sombres, les larmes sont des segments terminés par des étoiles, les corps des personnage­s, arbres ou brindilles, sont frêles et fragiles. Son jeu sur les couleurs accentue le côté surréalist­e à la Miró, tout en marquant bien le passage d’un état à un autre – avant l’arborescen­ce d’Adam, les roses, blancs et jaunes dominent ; après, les couleurs sont variées, lumineuses, à l’image des nouvelles possibilit­és qui s’offrent à lui. La cohérence entre le discours (parfois cru) et sa représenta­tion est ici exceptionn­elle. Derrière le dessin, l’analyse psychologi­que est fine. Rarement les troubles de l’adolescenc­e – avec ses questionne­ments intimes, ses transforma­tions du corps et de l’esprit – ont été traités de façon aussi subtile et poétique. Anne-Claire Norot

Big Kids (Atrabile), traduit de l’anglais (Canada) par Christophe Gouveia Roberto et Daniel Pellegrino, 96 pages, 14 €

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