Les Inrockuptibles

Mister Universo de Tizza Covi et Rainer Frimmel

Vue de coupe puissante d’une Italie laissée pour compte à travers le destin de quelques profession­nels du cirque.

-

On avait découvert le cinéma de Covi et Frimmel en 2009 avec La Pivellina, film à cheval sur le docu et la fiction, le néoréalism­e et le baroque, enfant étrange de Rossellini et de Tod Browning. L’un des protagonis­tes, Tairo, avait 14 ans. Les réalisateu­rs le retrouvent ici, huit ans après. Il est dompteur de fauves dans un cirque, proche ami d’une collègue, la jolie contorsion­niste Wendy. Le pitch est le suivant : Tairo a perdu son fer à cheval-talisman, une barre de fer qu’avait courbée de ses mains un certain Arthur Robin, ex-mister Universo. Avec Wendy, Tairo part à la recherche de celui qui fut le premier Noir champion du monde des culturiste­s.

Cet argument de conte est prétexte à une traversée de l’Italie comme on ne la voit jamais dans les brochures touristiqu­es ni dans notre imaginaire : territoire quart-mondiste de forains has been, d’autoroutes et de no man’s land périurbain­s dénués de charme, écrasé par un ciel de plomb exclusivem­ent bas, gris et lourd. C’est l’Italie laissée de côté par la mondialisa­tion, jumelle des zones en déshérence de ses voisins européens qui votent populiste ou rien du tout.

Et pourtant, de ce contexte poussedépr­ime, Covi et Frimmel parviennen­t à extraire la vitalité poétique d’individus qui, pour être bloqués en bas de l’échelle sociale, n’en persistent pas moins à s’accrocher à l’existence par les biais plus ou moins excentriqu­es d’une chanson ancestrale, de souvenirs d’enfants de la balle, d’exercice de torsion de métal à mains nues, de l’observatio­n d’une route où l’eau de pluie s’écoule en montant ou d’une quête de porte-bonheur aussi dérisoire que fondamenta­le.

Le couple de cinéastes parvient ainsi à capter dans un registre quasi pasolinien tout un folklore sans folklore, la culture d’un peuple qui n’a plus que ses mythes et légendes, son savoir artisanal et son refus de crever quand il n’a plus grandchose. Du cirque, le film ne montre pas le spectacle, sauf en fin de parcours, dans une séquence dramaturgi­quement “gratuite”. Alors que Wendy a traversé le film comme copine, confidente et objet de désir fuyant de Tairo, cette ultime scène la montre dans son numéro assez bluffant de contorsion­niste.

Morale du spectacle, fût-il pauvre en recettes : ces personnage­s de prolos losers qui vivotent dans un monde en perdition sont des héros flamboyant­s une fois vêtus de leur habit de lumière, des experts de leur artisanat de niche, des gens qui portent leur métier et raison d’être au plus haut degré d’excellence. Serge Kaganski

Mister Universo de Tizza Covi et Rainer Frimmel, avec Tairo Caroli, Wendy Weber (Aut., It., 2016, 1 h 30)

 ??  ?? Wendy Weber
Wendy Weber

Newspapers in French

Newspapers from France