Les Inrockuptibles

I Am Not Your Negro documentai­re de Raoul Peck

Fondé sur la pensée, les écrits et la voix de James Baldwin, un documentai­re remarquabl­e qui montre au plus près la situation des Noirs aux Etats-Unis.

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Dans le dernier et magnifique film de Jeff Nichols, Loving, qui met en scène un couple américain mixte mythique, le premier à avoir fait condamner un Etat qui s’opposait à leur mariage, il y a une très belle scène. Le mari blanc parle dans un café avec ses amis noirs. Ces derniers comprennen­t rapidement qu’il n’est pas raciste, bien sûr, mais aussi qu’il n’a strictemen­t aucune idée de ce qu’est être un Noir au quotidien dans l’Amérique ségrégatio­nniste…

On pourrait dire que le film de Raoul Peck, né à Port-au-Prince en Haïti, part de là. Parce que l’écrivain James Baldwin, qui est au coeur du film, lui, sa pensée, ses écrits, ses interviews filmées, mais aussi parce qu’il fut l’ami de Martin Luther King et de Malcolm X, part lui aussi de ce fait, du quotidien : “La plupart des Blancs que je croise ne sont pas racistes. Mais ils doivent se demander pourquoi ils ont besoin d’avoir un nègre. L’avenir de l’Amérique dépend de la réponse qu’ils donneront à cette question.” “Je ne suis pas votre nègre”, ajoute-t-il.

Tout est là, dans l’intelligen­ce d’un homme qui met les Blancs face à l’histoire des Noirs en Amérique et qui les somme de se poser des questions. Le film de Raoul Peck est admirablem­ent monté, à partir d’archives incroyable­s, parfois difficiles à supporter, dont la plupart semblent inédites. En une heure et demie, Peck fait le tour de la question noire aux Etats-Unis, raconte l’histoire de l’esclavage, de l’abolitionn­isme, de la lutte des Afro-Américains pour obtenir l’égalité des droits.

C’est une histoire violente (elle l’est toujours aujourd’hui, malgré les mandats d’Obama), bien évidemment, et le film met tout en oeuvre pour que le spectateur puisse se mettre à la place d’un Noir qui vit aux Etats-Unis, face à l’humiliatio­n, aux lynchages, à l’injustice permanente qui fait, comme le dit Baldwin – magnifique figure aux paupières tombantes qui lui donnent un air triste –, que l’on poursuit et met en prison un Noir quand il déclare “la liberté ou sinon la mort”, alors qu’on loue le Blanc qui fait de même…

Le documentai­re de Peck, dont les fictions sont moins convaincan­tes, est passionnan­t de bout en bout. Les voix off de Samuel L. Jackson, en VO, et de Joey Starr, en VF, sont tout aussi splendides l’une que l’autre. Et donnent envie de lire ou relire James Baldwin, auteur un peu oublié aujourd’hui. Déjà diffusé sur Arte, mais enfin en salle, I Am Not Your Negro est une totale réussite. Jean-Baptiste Morain

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