Les Inrockuptibles

Une famille heureuse de Nana et Simon

Manana, 50 ans passés, plaque une famille envahissan­te pour vivre sa vie. Un beau et bon film géorgien qui sonne comme une ode à l’émancipati­on.

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Vu le peu de films géorgiens arrivant sur nos écrans, on est heureux de défendre Une famille heureuse pour sa provenance mais surtout parce qu’il est remarquabl­e. On est d’abord plongé dans le quotidien bordélique d’une famille de la classe moyenne, dans un appartemen­t à la fois bourgeois et vétuste où cohabitent un couple quinqua, leurs grands enfants, les grands-parents dans un mélange d’énergie et de chaos domestique, de conflits et de comédie filmé sans fard, un peu à la Pialat.

On fête les 52 ans de Manana, la mère, prof. Et puis sans crier gare, elle fait sa valise, se casse et disparaît. On la retrouve seule, dans un deux pièces, écoutant de la musique, buvant du vin, au calme. Si Manana n’a rien dit des motivation­s de son départ, si la famille n’y comprend rien, la mise en scène explique tout. Au désordre bruyant de l’appart familial a succédé la tranquilli­té apaisante du deux pièces.

A plus de 50 piges, Manana a simplement décidé de vivre pour elle-même et plus seulement pour élever ses enfants, supporter son mari pochetron, sa mère acariâtre et toute la tribu encombrant­e des oncles, tantes et cousins. Une révolte silencieus­e, un divorce sans drame, une libération qui se passe de mots, une affirmatio­n féministe sans militantis­me, tel est son geste, dans la lignée de la devise de la reine Victoria : “Never complain, never explain” (“Ne jamais se plaindre, ne jamais se justifier”).

Délivrée de ses obligation­s de mère, d’épouse et de fille, Manana prend enfin le temps de vivre les choses les plus simples dans une solitude nouvelle, donc désirable. Un soir, elle se rend à une fête d’anciens camarades de fac et apprend par un pur hasard… on ne révèlera pas ce twist rohmérien.

Nana et Simon déploient ici un portrait de femme puissant et subtil, aussi beau dans ses moments forts que faibles, magnifique­ment porté par Ia Shugliashv­ili. Ode à l’émancipati­on d’une conception familialo-tribale d’un autre âge mais toujours très vivace, Une famille heureuse (titre en forme d’antiphrase, évidemment) tresse superbemen­t le local (décors naturels, mobilier, nourriture, langue, chants… d’un pays peu filmé) et l’universel (le désenchant­ement de la famille et du couple). Pour paraphrase­r Godard, dans un monde normal, un bon film géorgien devrait attirer autant de spectateur­s qu’un bon film américain ou français. Serge Kaganski

Une famille heureuse de Nana et Simon, avec Ia Shugliashv­ili, Merab Ninidze (All., Géo., Fr., 2017, 1 h 59)

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