Les Inrockuptibles

À bride abattue

Dépoussiér­age du folklore français accompli par la voix du duo Arlt, Eloïse Decazes, et le guitariste canadien Eric Chenaux. Etonnant et brillant.

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En interview, les belles voix d’Eloïse Decazes et Eric Chenaux, la première comme une rivière qui glisse lentement sur le lit plus rocailleux de la seconde. Eloïse Decazes est la chanteuse et moitié du groupe de chanson buissonniè­re Arlt. Eric Chenaux est un guitariste et chanteur canadien vivant à Paris, plus libre qu’expériment­al, dont les disques et les concerts sont comme d’éclairante­s notes critiques dans les marges de la musique officielle. Quand ils se sont connus à Paris il y a huit ans, ils ont d’abord appris à (se) parler. Eric : “Je ne parlais pas français à l’époque, et Eloïse parlait moins bien anglais qu’aujourd’hui. On échangeait beaucoup, mais entre les langues, avec les corps, en imaginant ce que l’autre voulait dire.”

Dès la première rencontre, autour d’une bouteille de whiskey, un soir qu’Eric avait raté son avion, ils ont joué ensemble, en partageant un amour pour les chansons de France centenaire­s. Leur premier disque, sorti il y a cinq ans, montrait la voie pour cette ballade à deux dans le passé et l’imaginatio­n. Le second vient de sortir, La Bride, et les deux ne font plus qu’un, chimère cheminant au plus profond d’une forêt de chansons exclusivem­ent médiévales.

Attention, il ne s’agit pas là d’un disque de folklore de nos régions, tristement destiné à prendre la poussière dans un petit musée d’ethnomusic­ologie. Mais de chansons en quelque sorte “rock”, éternellem­ent modernes, qui parlent d’amour, d’adolescenc­e, de manque, de mort, de regret, de feu et de chevaux. Des chansons de tous les jours (“ce répertoire qu’on chantait en travaillan­t, dans les champs, dans les cuisines”, dit Eloïse), qui ont passé les siècles. Des chansons anciennes, sur une musique vivante, mouvante, à base de guitares que l’alchimiste Chenaux et ses pédales d’effets transmute en vielles à roues, en trompes, en souvenirs du Velvet Undergroun­d, en brumes et en fluides épais : inouï.

Si on a fini, via Arlt et d’autres projets, par s’habituer à la voix pâle, solitaire, étale et profonde d’Eloïse Decazes, le jeu de guitare d’Eric Chenaux reste un grand mystère, que lui-même interroge. “Je ne joue pas d’autre instrument que la guitare, donc je veux pouvoir faire beaucoup de choses avec. C’est difficile pour moi de savoir ce que je fais avec la guitare. C’est une danse du corps.”

De ce disque rare, planant, nuancé

et enchanté, ses auteurs parlent aussi comme d’une danse. “Je n’accompagne pas Eloïse, elle n’en a pas besoin. Quand elle chante, la chanson est là, elle n’a besoin de rien. C’est donc un incroyable espace pour commencer à jouer ensemble, libres”, dit Eric. “On a beaucoup chanté ces chansons, puis on s’y est remis en les dansant”, raconte Eloïse.

Comme les propos d’Eloïse et Eric, cette musique est belle mais elle n’est peut-être pas si facile, pour le moins insolite. Pourtant, y entrer et l’aimer ne sera pas si difficile. Il suffit de suivre Eric Chenaux quand il dit : “Au Moyen Age, le merveilleu­x n’était pas séparé du quotidien.” Dans les meilleurs disques de folk non plus. Stéphane Deschamps

album La Bride (Three:four Records) concert le 11 mai à la Marbrerie à Montreuil (93)

“on a beaucoup chanté ces chansons, puis on s’y est remis en les dansant” Eloïse Decazes

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